La salle d’Enseignant flottait dans une espèce de mélasse magique qui pourrait distraire même le plus concentré des élèves. Etait-ce dû aux fenêtres qui s’illuminaient de diverses images, sorties tout droit de contes merveilleux ? Ou peut-être à cause de l’Enseignant qui, debout, sur son bureau, effectuait de grands gestes de ses petits bras pour parler ? La dernière option possible provenait de la professeure de guérison, Isra, qui, installée au fond de la salle, l’inspectait d’une mine curieuse.
En somme, le cours ressemblait à une sorte d’amas chaotique entre magie, théories et discours lointains. Heureusement, l’élocution simple du professeur Enseignant permettait de rapidement raccrocher aux bœufs la charrette en cas de perte d’attention.
La salle était plus pleine qu’à l’accoutumée, les bureaux resserrés offraient le loisir aux secondes années de se mêler aux troisièmes qui n’avaient pas vu ce nouveau chapitre. Les élèves en ce nava après-midi, étudiaient les créatures magiques.
Point de griffons, qu’Enseignant déclara être peu courtois, ni de salamandres qu’Enseignant révéla être timides, et pas même de dragons, au grand dam de certains élèves, qu’Enseignant assura être narcoleptiques. Ils étudiaient, pour ce cours, les créatures appartenant aux cervinances.
Le professeur Enseignant, dont le corps s’agitait de tressautements, fit l’introduction aussi protocolaire qu’Isra ne fit aucune note :
« Vous pouvez ouvrir vos ouvrages ! Ou pas ! »
Tout compte fait, Isra dû prendre des notes.
« Enseignant va vous parler des Cervinances. » Les lueurs en place de ses yeux scintillèrent avec plus d’éclats que certains sourires brillaient. « Ces créatures sont des cervidés… Comme les cerfs, les chevreuils, les daims, les rennes… » Dans son dos, le triste tableau noir s’irisait des silhouettes animales qu’il citait. « Mais la différence réside dans des étranges conceptions sur ce qui est magique et ce qui ne devrait pas l’être. » Les lueurs jumelles se plantèrent sur Isra et l’Enseignant soupira, provoquant peut-être un ou deux rires. « La différence, donc, provient de trois critères. »
Dans son dos, le tableau prit une allure ombrageuse et le chiffre trois s’inscrivit.
« La première ! La capacité à lancer des sorts. Jusqu’à preuve du contraire, un cerf n’ayant pas rencontré de mages sur sa route, ne peut pas lancer de sorts. »
La silhouette d’un cerf apparut et à côté de lui des étoiles brillèrent avant qu’une grosse croix rouge ne les barre.
« La seconde ! » Le deux apparut. La proportion de magie. Vous le savez, Enseignant le sait, tout le monde le sait : trois énergies pour nous, une énergie pour les animaux et une autre pour les monstres. Si ça a trois énergies, c’est un cervinance et pas un cerf. »
Dans son dos le cerf se trouva confronté à trois traits : l’un vert, le second blanc et le troisième noir. Le blanc et le noir furent barrés d’une grosse croix rouge à nouveau.
« La troisième et non des moindres est un peu plus subtile ! » Le trois apparut, et un Enseignant miniature sur le tableau se grattait la tête. « La capacité à évoluer dans une considération réfléchie et pensée par le langage à mesure du temps d’un point de vue sociétal. » Il contempla la classe d’élève et l’Enseignant du tableau arrondit ses yeux, encerclé par des points d’interrogation. « Dans la nature les cerfs évoluent généralement en hardes, des sortes de groupes. Les biches d’un côté, et quand c’est la saison, avec un cerf. C’est une communauté. Vous trouverez peut-être une biche qui dirigera davantage la harde que les autres, puisque si tout le monde décide, personne ne décide. La nuance réside dans le langage – qui doit permettre de parler de notions abstraites, dans l’évolution réfléchie – est-ce qu’elles vont décider d’être nomades ou grégaires puis faire des outils ? » L’Enseignant dans son dos s’illumina d’un point d’exclamation et le vrai Enseignant se tourna vers lui. « Il faut avoir au moins deux des trois critères pour qu’un cervidé soit considéré comme un cervinance. »
Peu à peu, en place des dessins apparurent trois phrases.
1. La capacité à lancer des sortilèges.
2. La possession de plus d’une énergie.
3. La capacité à créer des sociétés qui évoluent de manière consciente ou par des outils et des langages qui peuvent évoquer l’abstrait.
L’Enseignant se tourna à nouveau vers les élèves.
« Si vous avez des questions, posez-les ! Sinon, vous allez travailler… Avec qui vous voulez ou seul pour décrire l’une des espèces dans la liste… » Il désigna le tableau. « En cherchant dans les livres ! »
Sur le tableau apparurent différents noms : le Ryvreuil, la Mue des Sous-bois, le Blanc des violettes, le Géant de Cirel, les Bois d’Or et le Tigre Brouteur.
Peu à peu la classe se remit en mouvement, et différentes associations d’élèves se firent, parfois accompagnées des questions qui demeuraient en suspens. Une élève resta seule, adossée à la fenêtre, qui contemplait l’étrange ballet aussi mal à l’aise que possible.
Nouvelle, nul ne l’avait introduite et elle s’était faite si discrète que beaucoup l’auraient sans doute oubliée. Elle inspectait les groupes se former, hésitant entre approcher un élève solitaire ou abandonner et faire le travail par elle-même.
Dans l'ordre, la classe, Enseignant, l'élève perdue, et Isra.







L’on apprenait bien volontiers aux élèves à comprendre l’inexplicable, à rationnaliser l’occulte jusqu’à être en mesure de le comprendre. Jenaelle était une mauvaise élève sur le sujet, mais la meilleure d’Enseignant qui ne se souciait guère de comprendre comment, plutôt pourquoi.
Les souvenirs effleurèrent la lisière de son esprit, se précipitèrent aux portes de son palais mental qu’elle ne fermait jamais, trop insouciante pour s’en soucier. Elle contempla les orbites vides et les lumières et, eut-elle voulu s’en empêcher qu’elle ne le pût.
Il lui fallait partager cet instant, serrer la main de sa camarade à peine rencontrée pour se rassurer tandis que les guerres cascadaient dans son esprit. L’émerveillement du grand arbre en balaya une partie, et les questions aussi, une dévorante envie de comprendre ce qui lui échappait. Ce qui n’avait rien à voir avec elle. Le poids de ses épaules disparut tout à fait et, peut-être qu’en dehors de toutes les considérations Vespéréennes, le temps se troubla. Jusqu’à ce que la goutte touche le sol, il suspendit son cours, tandis qu’elle écarquillait les yeux pour percevoir toutes les lumières, chaque reflet, chaque trait de pinceau et, suspendues aux branches, les perles des rappels.
L’on se rappelait, l’on se souvenait, et Jenaelle sut que l’on pouvait manquer de ce que l’on n’avait pas connu jusqu’à l’appeler de tous ses vœux. La caresse d’une simple plume silencieuse à nouveau couvrit sa chevelure de petites tiges fines et dorées quand elle rencontra deux yeux clairs. La goutte accéléra sa chute, et les étreintes se succédèrent sans qu’elle ne puisse lâcher la main, ou battre des cils.
L’émotion déborda de ses yeux, et remua ses lèvres qui chantaient ce qu’elle appelait mais qui ne pouvait encore revenir. Subjuguée par les os et par les yeux, la timidité s’étiola et dans les chaussures de Vanessa, elle se sentit à sa place, peut-être un peu trop tôt. Sans être certaine de pouvoir être invitée un jour, elle tourna la tête vers Enseignant, puis vers sa camarade à nouveau, désirant s’assurer que tous deux voyaient comme elle.
Créature inspecta les alentours, et se détendit sans plus s’interroger sur ce que les élèves penseraient de son absence. Quelle que soit la manière dont c’était en sa mesure, la Créature expira d’aise et d’un geste sollicitant des muscles dont Enseignant ne fut point doté, inclina la tête en guise de respect pour les lieux, et ceux qui en prenaient soin.
Une vague ombre chatouilla le visage de Jenaelle, quand d’une main elle s’essuya la joue mais ne s’en souciant guère, suspendit le temps aux lèvres de l’aria de Hericuilë, la laissa terminer, l’écouta parler. Elle tendit les doigts et interrompit son mouvement, ses lèvres articulèrent à nouveau de quelconques vers, en quête d’un Chant qui ne vint jamais pour lui rappeler la mémoire qui lui faisait face.
« Vous l’êtes toujours, assura la trop présomptueuse enfant. »
Pensa-t-elle si fort que tous l’entendirent qu’elle n’en fut pas certaine et n’oublia pas de voir les similitudes entre sa camarade et la femme, peut-être un instant dont elle ne trouva jamais la fin, désira les partager à son tour.
« Vous… Êtes-vous aussi aux branches ? »
Ou peut-être était-elle la sève, Jenaelle se mordit la lèvre et tourna un instant la tête autour d’elle, observant le squelette, tandis que sa peau translucide laissa apparaître le sien, débordant d’énergie en tout lieu, ou en toute place. Elle se reconcentra sur la femme, cherchant à tout voir et craignant de tout oublier, elle aussi. « Partout ?, interrogea-t-elle à nouveau, ses orteils rétractés au fond des souliers de Vanessa. »