Lettre de candidature

La lecture des missives envoyées, coup sur coup, des deux membres de l’armée, sans aucune du capitaine avait dépité le vice-directeur. Il se doutait bien sûr qu’il était un membre occupé, mais les deux tons différaient et le lien avec les Iphurnus le laissait perplexe.

Mais Eddard savait bien une chose, c’est que si on devait se tenir aux côtés de ses alliés, il fallait savoir se tenir encore plus proche de ses ennemis.

« Abjuratrice Neniu,

Je vous remercie pour votre réponse. L’examen vous permettra, si vous le réussissez de devenir professeure en seconde du professeur Belmont.

Si vos compétences en magie ne feront plus aucun doute après cela, il vous faudra découvrir les préceptes de l’enseignement. Vous aurez la possibilité, une fois l’expérience requise acquise, et si vous êtes sélectionnée de rejoindre les cours ou vous pourrez en effet enseigner la lutte. Mais sachez que la plupart des élèves de cette école ne se destinent pas à devenir des combattants, et ils sont dans la récente classe ouverte. Certains élèves, par exemple, se destinent à se spécialiser dans les découvertes magiques.

Vous devrez alors continuer d’étudier afin de trouver le ton qui passionnera les étudiants que vous aurez sous votre aile, de leur réussite aux examens dépendront vos avancées vers des classes destinées au combat ou à l’enseignement supérieur.

Bien cordialement,

Vice-Directeur Eddard de Redan. »

Il n’avait jamais été très doué avec les missives, il la confia à la femme de l’accueil avant d’aller voir la professeure de Saphan.

Neniu lu la lettre deux fois pour être sûre de ne rien rater et regarda l'ouvrage qui lui avait été envoyé. Elle tendit la lettre à Moira.

"Ils veulent que je passe un examen," dit-elle. "On pourrait croire que vaincre des mages noirs soit une meilleure preuve de mes compétences que gratter du papier, mais bon... s'il y a que ça pour leur faire plaisir..."

Elle feuilleta rapidement l'ouvrage. Les grandes théories magiques. Elle savait déjà tout ça, même si elle ne l'avait pas appris de manière académique. Pour combattre des mages, il faut bien savoir comment ça marche... Enfin, ça ne lui ferait pas de mal de réviser un peu, surtout pour s'assurer que les termes qu'elle utilise sont bien les termes officiels.

Elle reposa l'ouvrage et attrapa un parchemin et une plume. Elle avait commencé la rédaction de sa réponse lorsque Hel lui sauta pratiquement dessus, lui faisant faire une grosse tâche d'encre.

"Tu fais quoi papa ?!" demanda la petite fille, curieuse, venant s'installer sur ses genoux. "Moi aussi je veux dessiner !"

"Je dessine pas, j'écris. Mais bon ce parchemin est fichu maintenant alors tu peux dessiner dessus."

Contente, Hel s'empara de la plume et commença à dessiner. Neniu s'inquiétait : comment était-ce possible d'être aussi peu doué en dessin ?

"Là c'est moi," annonça la fillette, désignant un patatoïde avec des cornes. "Là c'est toi, là c'est maman, là c'est Aya, là c'est Bloupy et là c'est Moloch."

"C'est bien ma grande," mentit Neniu. "Et ça, c'est quoi ?"

"Ben ça c'est la maison !" gloussa Hel, comme si c'était évident. Neniu trouvait que ça ressemblait plutôt à une tranche de jambon...

"Magnifique ! Allez, va l'accrocher au mur avec maman."

Moira accompagna Hel dans sa chambre, et Neniu put enfin écrire en paix.

"Cher monsieur de Redan,

Je vous remercie pour votre réponse et l'intérêt que vous portez à ma candidature.

Je me rendrai donc à l'examen à la date indiquée, comme vous le demandez.

Concernant les types de cours que je pense pouvoir donner aux élèves, les voici :

-Pour les élèves débutants, je commencerai bien sûr par un socle commun de connaissances et de compétences générales en antimagie. La théorie est importante, mais la pratique l'est encore plus, selon moi. L'antimagie, ou l'abjuration si vous préférez, nécessite de connaître et de comprendre le type de magie contre lequel on lutte, pour déterminer la meilleure façon de la dissiper. Des exercices pratiques auront lieu, par exemple sur la manière de briser un cercle magique inconnu, de dissiper un sort de métamorphose, sur la fabrication de parchemins d'antimagie utilisables en condition réelle, etc.

-Pour les élèves d'années supérieures, je pense qu'il faut distinguer deux cas. Ceux qui, comme moi, se destinent à l'antimagie de combat devront bien sûr apprendre le maniement des armes, la dissipation rapide d'un sort, la formation d'un cercle magique autour d'un adversaire non coopératif, l'invocation de boucliers, mais aussi la préparation qui a lieu avant le combat : application de sceaux d'antimagie sur ses armes ou préparation de parchemins. J'enseignerai à ceux qui ne se destinent pas au combat à lever des malédictions, désenvouter une personne ou un objet, dissiper une illusion de haut niveau, protéger leur esprit ou celui d'autrui contre les intrusions psychiques, créer des artefacts d'antimagie destinés à dissimuler une aura, créer une zone d'antimagie autour d'un lieu, etc.

Ces cours, qui pourront être complétés par un enseignement spécialisé pour les élèves les plus âgés et souhaitant être agréés ou experts, donneront des bases solides et utiles aux élèves. Je sais d'expérience que ce sont des compétences nécessaires pour trouver un emploi comme antimage.

J'espère que ma réponse vous apportera entière satisfaction et je reste bien sûr à votre disposition pour un entretien une fois mon examen passé.

Cordialement,

Neniu"

Satisfaite après s'être relue, Neniu glissa la lettre dans une enveloppe et alla la porter jusqu'à la boite aux lettres de l'école de magie.

Eddard posa les yeux sur la lettre qu’il avait reçu, installé dans son bureau, il avait l’impression de ne jamais trouver un moment pour s’occuper de ceux qui lui importaient vraiment. Ce n’était ni l’Assemblée, dont les lettres en attente de réponses s’entassaient sur un coin de son bureau. Ce n’était pas non plus les réparations de l’école, de l’ordre du magique pour protéger la population, comme le relançait le professeur Belmont, ni de l’ordre de la construction comme l’exigeait l’architecte qui l’abreuvait de hiboux aux lettres peu chouettes.

Cette professeure avait été formée en autodidacte, de son expérience et de ce qu’il avait pu constater au fur et à mesure des années, Eddard savait qu’elle ne serait pas forcément inapte. Il s’interrogea quelques minutes sur le fait que ça puisse mener la Directrice à être à nouveau convoquée par l’Assemblée des Mages. Il grimaça :

— Quelle bande de connards arrogants, marmonna-t-il usé par la charge de travail.

L’idée de repartir avec son cousin naviguer le soulageait d’une certaine manière. Mais lui, ce qui lui importait, était que les gens se sentent bien. Que les élèves, que sa Fraternité et quiconque en aurait le besoin puisse s’épanouir sans être un pion sur un échiquier.

Il relut la missive.

« Abjuratrice Neniu,

Nous avons bien reçu votre candidature pour le poste de professeure d’abjuration et nous vous remercions de l’intérêt que vous portez… »

Il souleva sa plume de son parchemin et réprima un rire. Il eut une pensée pour Aneira, l’ancien soldat avait eu plus que son lot de morts dans son entourage, il avait appris à faire avec. Mais c’était différent avec son ancienne compagne de mauvaise fortune, et ça le serait sans doute davantage avec un certain capitaine. Il s’imaginait encore aux côtés d’une bonne part de tourte, tandis qu’elle se serait gobé toutes les autres en grommelant quelque chose au sujet du partage équitable et d’avoir les yeux plus gros que le ventre, tout en se moquant du ton pédant qu’il employait. « Nous ». Il pourrait dire « je », mais il représentait aussi le Dragon maintenant.

« … que vous portez à notre école.

Néanmoins, afin de pouvoir vous accepter plusieurs conditions nécessitent des actions de votre part.

- Nous souhaiterions pouvoir connaître quels types de cours vous imagineriez donner aux élèves avec votre expérience de chasseuse de mages noirs. »

Écartant sa plume avant de faire de nouveau une tâche d’encre, il se demanda si l’abjuratrice ou « l’anti-mage » comme elle le disait avait un jour failli mettre la main sur les mages noirs des Thaumaturges. Il avait appris bien malgré lui qu’à les côtoyer on finissait souvent par devoir trouver des solutions particulièrement désagréables. Le rituel pour briser le pacte de Rehnya faisait encore monter des frissons au vétéran.

« - Vous devrez également apporter des informations théoriques sur la magie et il vous faudra valider selon les directives de l’Assemblée des Mages votre expérience en tant qu’experte, niveau minimum requis pour être enseignant titulaire. Veuillez trouver la convocation pour ce faire ainsi qu’un ouvrage pour quelques révisions de dernière minute.

Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.

Eddard de Redan, Vice-Directeur de l’école de magie de Trigorn, Maître des Arts des Thaumaturges. »

Il déposa la missive sur un premier ouvrage, puis en parallèle entama une autre lettre.

« Capitaine Nils,

J’espère que tu vas bien.

Est-ce que je pourrais te demander un petit service ? J’ai une personne qui souhaiterait postuler à l’école de magie, une certaine Neniu abjuratrice, mercenaire et chasseuse de mage noirs. Elle aurait été employée par le Seigneur Adran Viple lui-même ainsi que par la milice de Proncilia.

Peut-être saurais-tu me dire si c’est vrai qu’ils ont été satisfaits de son travail ?

Si tu la connais, je serais curieux de connaître ton avis.

J’essayerai de passer à Proncilia dans les prochains jours, si tu veux boire une bière et manger une part de tourte.

Eddard. »

Il scella ses deux missives, la première du sceau de l'école de magie, la seconde du sceau des Thaumaturges. A la première, il joignit un ouvrage sur les grandes théories magiques écrit par un certain T. Déhesse, un pseudonyme paraissait-il, avant qu'elle ne s'en aille par coursier trouver la future professeure.

La seconde, au Capitaine s'envolerait le soir-même. Le Maître des Arts soupira une énième fois avant d'en revenir à ce qui faisait l'essence de son métier : correspondre.