Les quelques personnes sur lesquelles la Borgne gardait son oeil étaient toujours présentes. Certaines voudraient sans doute s'en aller, mais Gabrielle leur avait assuré que personne ne viendrait ici. Après avoir retiré les carreaux, profitant des derniers effets de sa potion, elle avait glissé à l'étage différentes couvertures que Lucinda utilisait en lanjis. Elle formait au fond de son lit un Khuzdul de Proncilia tant elle ajoutait des couvertures. Une fois cette histoire finie elle lui en offrirait d'autres, elle comprendrait. Elle éventra son propre matelas pour faire des tapis de plumes au-dessus des couvertures et donner un semblant de confort aux nouveaux habitants.
Puis, ne supportant plus de les entendre, envoya la Borgne qui inspectait son alambique avec un regard louche, les accompagner à l'étage et répondre à leurs questions et les soigner de la fumée.
C'était son idée, qu'elle assume. Une fois seule, parce qu'on oubliait Cassandre qui vegetait à côté de la fenêtre, le regard fixe et figé sur l'école de magie. Les points qu'elles avaient en commun inquietaient autant qu'ils ravissaient Gabrielle. Mais elle n'en dit rien et s'installa sur l'un des fauteuils en fixant la flamme de la bougie allumée devant elle. Le bandage poissait de sang et elle peinait à avoir l'énergie d'en cautériser la plaie.



Ce qui lui tenait le plus à coeur, parfois ne tenait qu'à peu de choses. Son flanc la faisait souffrir et chaque pulsation de son coeur incendiait la plaie à son épaule. Sans compter les contusions que le souffle de l'explosion avait provoqué qui apparaîtraient en des marques bleutées. La certitude, pourtant, de ne pas se savoir seule en soulageaient les sensations. De ses souvenirs, sa mère parfois la prenait dans ses bras, quand ça n'avait pas été quelconques leçons de vie distribuées avec élan par la paranoîa de sa mère.
C'était Gaby et ses deux soeurs qui lui avaient appris autre chose, encore que l'une des deux n'en supportait pas un quelconque contact. Les marques avaient fini d'éloigner le reste, chaque instant où elle aurait pu devenir quelqu'un à part entière s'était fait écraser sous le poids de la culpabilité.
"Elle a ce qu'il faut, s'il se passe quelque chose de mal pendant le voyage. Il..."
Elle fronça les sourcils, les recommandations de la garde du corps lui brûlant les lèvres et balayant la quiétude. Elle prit une inspiration, lutta contre elle-même, contre l'envie de se retrouver avec elle, de ne plus avoir à penser à autre chose qu'à son bien-être. Ses yeux se plantèrent sur l'une des raisons qui la poussaient à faire mieux plutôt que de se contenter d'être. L'effort étira brièvement ses traits, jusqu'à ce qu'elle souffle du nez en secouant la tête.
"Vous vous en sortirez très bien. Peux-tu simplement saluer Gaby de ma part ?"
Elle se redressa, une sensation fantôme sur le visage qui étira brièvement davantage son sourire et finit par lui répondre.
"Tu comptes les acheter par l'estomac ?" Les discussions qu'elles avaient eu, dans leur jeunesse, avec Cassandre et l'or mal dépensé en biscuits et brioches, jusqu'à Abheleim finirent par dévoiler ses dents. "C'est le meilleur plan que tu aies jamais eu."
La moquerie n'importait pas tant qu'effectivement c'était une bonne idée.
"Si tu n'en prends pas pour Lucinda au passage, elle fera sans doute un scandale. Mais son sac pèse pour moitié en nourriture."
Gabrielle l'accompagna jusqu'à la porte, ne craignant pas qu'il se perde alors que la peur irraisonnée de le perdre malgré tout l'étreignait. Elle n'en montra pourtant rien et se contenta de lui adresser un dernier sourire et de lui souhaiter, à sa manière, bon voyage.
"Tape plus fort que les bandits, ça te fera du bien. Et prends soin de toi."