Un wisek se baladait dans la forêt, furetant le sol à la recherche de nourriture. Quelques graines dont il raffolait, tombées de la haute canopée, trainaient ici et là.
Un elfe aux cheveux verts feuilles, symboles d'une supériorité indéniable sur le commun du vivant, était là, silencieux. Ses pas se fondaient dans le bruit ambiant et ne sauraient déranger une telle créature. Il l'observa un instant avant de continuer son chemin.
Un tremblement parcouru les bois éternels, sans savoir ce qu'il était, l'elfe put identifier ce qu'il n'était pas : pas l'un de ceux qui, lorsque deux plaques terrestres se découvraient et se rencontraient, creusaient des sourires, allongeaient les arbres ou faisait déborder l'océan de son lit. Ce n'était pas plus l'un de ceux qui, d'une impulsion magique, faisait vibrer la terre. La question demeurait en suspend, au-dessus de la tête des trois individus. Le bruissement des pattes se fit entendre, les insectes désertèrent, le danger s'était levé. Il n'y avait rien de naturel dans ce tremblement, c'en était même l'exact opposé. Artificiel, comme la créature qui s'approchait. D'un geste brusque, l'elfe claqua dans ses mains et Dar Duchesne s'envola, il frôla le sol, mais il savait que quelque chose de terrible rôdait au fond des bois dans les tréfonds de la forêt immuable. L'elfe se détourna et fit face à son destin. Si le Wisek et Dar Duchesne étaient malins, ils auraient fui. Elle dégaina son arc encocha la première flèche, et au fond d'elle un frémissement de terreur se fit ressentir.
De ces créatures, elle n'avait entendu que des histoires. De ces créatures, Danava les avait gardés. Aurait-elle pu imaginer que l'odeur du sang de ses quelques alliés viendraient accompagné du fumet du pire monstre qu'ait enfanté la déesse de la beauté ? A la laideur moitié égale de sa dangerosité, plusieurs mètres de haut et huit longues pattes au pelage venimaux, la créature ne connaissait aucun arrêt.
La meilleure chose à faire serait encore de fuir.
Ce que fit Dar Duchesne, il s'envola accompagnés des oiseaux qui n'avaient pas encore fuit, loin aussi loin que ses plumes le porteraient. Au fond des bois éternels, les dryders se réveillaient.
La petite place faite au wisek par Dar Duchesne lui fit chaud au cœur. Il était de plus en plus conscient que l'oiseau était une connaissance de l'elfe à la façon qu'il avait de les suivre et de profiter de cet endroit.
Le quadripède n'était pas équipé pour manger efficacement les fourmis, ainsi il n'en consommait pas d'ordinaire. Cependant, voir le rapace faire lui donna envie d'essayer.
Il bondit du dos de sa monture jusqu'au sol en arrivant pattes de devant en premières. Il avait l'habitude de chasser ainsi, cela permettait de désorienter ses proies qui ne voyaient pas la menace venir d'en haut. Mais face aux fourmis, cela n'avait que peu d'intérêt. Il essaya d'en avaler mais n'arrivait pas à en prendre beaucoup à la fois avec sa langue. Cette dernière ramassait plus de poussière que de fourmis.
Face à ce cuisant échec, il fit le tour de quelques arbres autour de l'écorce pour tenter de débusquer de plus grosses prises afin de ne pas déranger le volatile. Puis il finit par se coucher pour observer ce dernier d'un air curieux.
Le frisson d'envie qui parcourut le plumage de Dar Duchesne agissait comme une vague, il gonfla ses plumes brunes, et le fit regretter de ne pas avoir outrepassé les étranges rituels de l'elfe. Ce fut lorsque la coquille croustilla sous les crocs du Wisek que le rapace se sentit au supplice, se souvenant de son cuisant échec face à l'écureuil.
L'elfe, quant à elle, aurait semblé avoir une petite cinquantaine d'années, pour une humaine. Ce qui faisait qu'elle devait en réalité avoir connu l'ère barbare et l'avènement des Rolands. Peut-être aurait-elle pu assister au détournement du fleuve Weane. Pour autant, c'était bien la première fois qu'elle envisageait de quitter les tréfonds de Cirel.
Elle se déplaça, avec agilité, se faufilant entre les troncs, les souches et autres végétations sauvages qui tendaient des pièges - cette racine avait-elle penché sur la gauche, là, lorsqu'elle la frôla ?
Pour autant, que ce soit par la force de l'habitude, elle parvint à les éviter avec aisance, portant le Wisek sur son dos, un sourire paresseux aux lèvres tandis qu'elle se déplaçait. Dar Duchesne, n'était pas en reste. Il avait bien analysé l'elfe, et bientôt on se rapprochait de l'une des écorces disposées là... Volontairement. Il saliva d'avance et lorsqu'elle la souleva, il s'envola vers les insectes qui s'étaient abrités dans l'humidité de cette écorce.
Le rapace picorait les insectes, il préférait les campagnols, ça allait sans dire. Mais à défaut d'écureuil ou autres rongeurs, il s'en satisferait.
Il savait que bientôt ils reprendraient leur route, pour aller là où elle résidait, son plumage frémit et il jeta un regard au Wisek avant de lui faire une toute petite place. Dar Duchesne n'était pas prêteur avec les fourmis qu'il croquait, mais c'était loin d'être son moindre défaut.
Le wisek qui avait maintenant fini sa larve, n'était pas repu pour autant. Il avait beau être un animal de taille tout à fait modeste, quelques baie et insectes n'étaient pas sa limite.
Pour le risque qu'il prenait à s'aventurer ici et la dépense d'énergie, il préférait faire des réserves, quitte à jeûner une fois de retour dans son terrier. Quel animal dirait non à un peu plus d'énergie à dépenser?
Voyant que, ni l'elfe ni l'oiseau ne faisait de mouvement, il hésita. Sa facilité à se repaitre dans la forêt avait développé son orgueil et il appréciait trouver lui-même sa nourriture.
Néanmoins, cette fois, ce n'était pas la faim qui le fit hésité mais la curiosité. Il ne réalisait pas encore que le rapace était accointé avec l'elfe mais il était curieux de savoir ce que cette dernière pouvait bien avoir à lui apporter.
Il se saisit de l'insecte entre ses crocs et l'avala après une courte mastication. Justifiant son acte par le fait qu'il aurait fini par le trouver lui-même.
Il courut alors agilement vers l'elfe, rapide comme une ombre. Presque aucun bruit ne put être entendu. Il s'arrêta brusquement, donnant l'impression qu'il n'était pas en train de courir le moment précédent.
Il abaissa son museau et renifla la main encore au sol de l'elfe puis ses pieds. La route qu'elle avait emprunté pour arriver jusqu'ici lui parvenait. Il connaissait le sol de Cirel par cœur.
Les wiseks ne vivaient pas en communauté à proprement parlé, ils vivaient proches mais souvent indépendamment des autres individus. Capables de jouer à plusieurs aussi bien que d'entreprendre de longues excursions solitaires, seules les jeunes mères restaient avec leurs petits le temps de leur apprendre la vie.
N'étant pas attendu, il bondit sur le dos de l'elfe encore penchée avec l'intention de s'en servir de moyen de locomotion. Peut-être pourra-t-il étudier la façon de vivre de ces êtres différemment.
Dar Duchesne observait toujours la scène, tournant à répétition la tête entre les deux silhouettes qui se faisaient face, ce qui équivalait pour le rapace à de brefs coups d’oeils. L’elfe déposa l’insecte, sur le dos, manquant de faire saliver Dar Duchesne, pour autant il resta là où il se tenait.
Ses pattes s’agitèrent, perdue dans le désarroi de se retrouver ainsi immobilisée. Puis, se tenant face au Wisek qui semblait ne pas véritablement se soucier de l’insecte, elle recula. Sans se relever, dans ce qui aurait pu ressembler à une danse étrange, tant elle semblait à l’aise avec des muscles roulants sous sa peau.
Elle inclina ensuite la tête, faisant comme un présent à l’animal et l’insecte qui agitait ses petites pattes entre eux deux. Dar Duchesne le savait, l’elfe serait patiente, capable d’attendre là, respirant au rythme de la forêt, que la créature accepte l’offrande qu’elle tentait de lui faire.
Par ici, même les elfes se faisaient plus rares, les tréfonds de la forêt étant trop sauvages même pour ceux qui respiraient en même temps. Il leur fallait du temps, lorsqu'ils n'étaient pas nés ici pour s'y habituer, pour oublier le confort des cabanes en hauteur. Même Dar Duchesne avait dû s'y habituer, lorsqu'il était sorti de son nid, il se demanda, curieux, si le Wisek deviendrait un nouveau compagnon de voyage.
Une elfe, ce n'était pas un danger au yeux du wisek, mais ce n'était pas pour autant une compagnie qu'il recherchait activement.
Les bois de Cirel avaient façonné de leur bénédiction bien des êtres, et les wisek n'en étaient pas exclus. Les arcanes de la magie se sont alors ouvertes avec l'évolution de ces derniers pour finaliser leur harmonisation à l'environnement de la sylve. Ils apparaissent et disparaissent à leur guise, décris à tort par certains explorateurs pour des esprits fantomatiques de la forêt.
Aussi, le wisek ne fut pas surpris de croiser cette elfe ici. Il continuait de niaquer sa larve afin d'en extraire toutes les saveurs. Il regardait avec ses yeux interrogateurs la réunion de l'oiseau avec sa compagnie et qui scrutait à présent la main tendue munie de l'insecte en sa direction. Le wisek ne savait plus s'il fallait saliver ou courir.
Que pouvait-il bien penser? Faute d'un écureuil, il voulait un insecte? Très bien! Je lui laisse.
Le wisek tourna la tête vers la femme et l'insecte puis vers le rapace comme pour signifier qu'il le cédait volontiers. Il n'en avait cure, Cirel avait toujours su répondre à ses besoins.
Le milan noir, pour qui l’aurait observé attentivement n’était pas comme ses congénères. Pas qu’il fut plus intelligent qu’eux, ni même qu’il eut de plus grandes capacités qu’eux, ce Milan Noir était l’égal des siens. La différence majeure résidait dans le fait qu’il eût un nom. Pas un que donnaient les fauconniers à leurs bêtes, mais il s’était nommé seul. Il avait délibérément choisi, non pas qui il était, mais qui il serait. Le Milan noir blessa l’écureuil de ses griffes acérées, mais il était rare qu’un Milan et comme cela a été dit tout à l’heure : Dar Duchesne n’était qu’un rapace comme les autres, ni plus doué, ni moins.
Aussitôt sa proie enfuie, lorsqu’il se rendit compte qu’il dépenserait plus d’énergie à le rattraper qu’il en obtiendrait à s’en repaître, l’oiseau s’envola à nouveau. Bien des oiseaux maîtrisaient mieux la voie des airs que Dar Duchesne, mais il n’était pas en reste pour autant. Il vivait depuis qu’il avait brisé, à grands renforts de coups de becs, la coquille qui lui avait permis de se développer à Cirel, et ensuite, aucun des oiseaux n’avait jamais eu goût à quitter ces bois éternels où le climat était perpétuellement doux. Mais ce n’était pas le cas de ses ancêtres, les milans noirs avaient été repoussés jusque dans les tréfonds pour fuir la civilisation des hommes qui s’étendait dans le sang et les armes. Avant ils vivaient et, Dar Duschesne le ressentait inconsciemment, migraient. Leur nom venait d’ailleurs de ces grandes envolées migratoires, fuyant les Lanjis de malheur ou les Moniac infernaux. Le milan noir aussi avait fini par combattre, pour s’alimenter – certains écureuils avaient des dents acérées pour le délicat plumage de l’animal, ou pour protéger sa vie d’autres espèces dangereuses des bois. Les gobelins goûtaient d’ailleurs leur chair comme il raffolait des campagnols.
Il rattrapa finalement le Wisek qui s’était éloigné vers le Nord, non pas qu’il l’ait suivi, si Dar Duschesne pouvait venir à bout de quelconques écureuils, les Wiseks étaient bien trop dangereux pour lui. S’il allait vers le nord c’était pour retrouver sa comparse de voyage, le volatile avait mit en œuvre tout une série des signes et diverses mentions, pour faire comprendre son nom. Il avait été blessé, à cause d’un prédateur bien plus dangereux que lui et une elfe l’avait récupéré. Lui offrant gite et couvert, le milan noir avait fini par ne plus vouloir repartir, quand bien même il aurait eût toutes les raisons d’y aller. L’oiseau qui ne migrait plus entamait alors de longs périples en restant dans les bois – bien qu’il se soit pavané parfois au-delà de la cime des arbres, pour autant il revenait toujours voir son compagnon. Il la croisa tandis qu’elle s’avançait à pas prudents, pour ne pas l’effrayer, vers le Wisek. S’accroupissant, elle fouilla lentement dans la terre. Dar Duchesne y vit là une drôle de manière de s’alimenter, que l’elfe n’avait jamais employé. Elle différait de bien des manières des autres bipèdes qui arpentaient les bois, la principale serait son odeur, pour les autres, c’était en l’observant comme le milan noir l’avait fait durant sa convalescence et comme il se prêtait à le faire, car s’il s’était nommé lui-même, c’est que le volatile savait que l’on pouvait se nommer… Et cela, il ne le savait qu’à sa curiosité dévorante.
Finalement, l’elfe parvint à trouver un insecte, il faisait la moitié de sa main et elle le tenait entre l’index et le pouce de sa dextre. Elle le tendit vers le Wisek, sans dévoiler ses dents et sans le regarder dans les yeux. Presque regardait-elle au sol, ce que Dar Duchesne trouva normale, la considérant tout bien, car elle avait fait la même chose. Il se posa au sol et observa, animé par la curiosité, la rencontre qui se déroulerait sous ses yeux.
Les oreilles aux aguets des bruits de la forêt, le wisek fut surpris de la poursuite du milan. Aussitôt, sans regarder et par mesure de précaution, il usa de son don inné et disparut en se fondant dans le décor. Il détalla quelques mètres plus loin pour observer la situation plus calmement.
Il avait pensé que peut-être était-ce pour lui que les battements d'ailes avaient retenti.
Avec le temps il reconnaissait au bruit les sons des différentes créatures. Les oiseaux de proie n'étaient pas si audacieux d'ordinaire mais il arrivait que certains aient l'appétit pour ceux de son espèce qui n'étaient pas si imposants. Tapis dans la forêt, non repérable pour qui n'avait pas l'odorat assez fin, il regardait la scène et fut rassuré.
Les wiseks ne sont pas farouches et savent que les grandes créatures bipèdes ne sont pas des menaces. Il n'était donc pas rare d'en apercevoir côtoyer le pied des arbres supportant les villes elfiques car les créatures les plus dangereuses ne s'en approchaient pas. Ils sont alors vus comme des créatures auspicieuses car en voir signifiait qu'on pénétrait dans un lieu plus sûr. Les elfes ne les importunaient pas non plus. Ils avaient appris à les laisser vivre leur vie et s'inscrivaient ainsi dans leur écosystème fragile.
Cet animal était un individu plus téméraire qui osait s'aventurer dans les forêts plus sauvages. Sa prudence et vivacité était des traits qui lui avait néanmoins permis de faire en sorte qu'il survivre jusqu'à ce jour. Il marcha un moment pour continuer sa quête de nourriture lorsqu'il trouva une succulente larve qui grimpait le long d'une écorce.
La forêt de Cirel grouillait de vie, si bien que le cri de ce milan noir pourrait passer inaperçu aux yeux de quiconque. La créature fendait l'air entre les arbres hauts comme le Temple de Donblas à Proncilia. Ses yeux perçaient sans mal entre les épais feuillages, quelque chose attira son attention. Il décrivit un premier arc de cercle, frôlant les troncs du bout des plumes, les feuilles frémissaient sous le vent et frôlées par les plumes.
L'arc de cercle se fit spirale à mesure que le rapace se rapprochait de sa cible. Plus bas, il avait repéré un mouvement, celui-ci avait été infime, pourtant il n'avait eût aucun mal à le repérer. Bien sûr, un Wisek mangeait paisiblement ses baies, inconscient des yeux qui se posaient sur lui et qui le guettaient.
Dans les arbres, dans l'une des branches basses, un écureuil entama sa folle course, bondissant entre les écorces poursuivi par le milan. Les griffes acérées qui le menaçaient le frôlèrent à quelques reprises, il tenta de passer dessus, dessous et son agilité lui permettait d'y réchapper. Jusqu'au moment où la chute de l'écureuil scella son destin et que le milan fondit sur lui avec la ferme intention de le dévorer, quitte à faire fuire le Wisek non-loin de là.