Les journées précédentes avaient été éprouvantes. Livia blessée, Brida alitée, son marteau disparu. La mort rôdait réellement autour de lui désormais. Il pensait être prêt, il avait l’habitude de se battre, mais il était garde du corps. Tuer ou être tué était rarement l’enjeu. Il avait été trop confiant, il avait échoué à protéger ses partenaires.
Il devait de nouveau s’adapter à ces enjeux, à ce jeu de piste. Reprendre la traque grâce à ce qui lui avait été volé. Et grâce à celle qui avait été plus maline que lui et qui les avait sauvés. La pierre et la carte permettraient de les suivre. La prochaine fois il leur faudrait un plan, une stratégie. Ça non plus, il n’en avait pas bien l’habitude lors des combats. C’était la spécialité de Khayila, les plans, bien qu’ils n’étaient jamais vraiment pensés jusqu’au bout.
Il soupira. Qu’aurait-elle dit ? Il s’était fait voler le Marteau. Bien sûr, cela avait été prédit, mais cela avait été possible car il avait eu ce moment de faiblesse. Rien ne prédisait qu’il le récupèrerait. Désormais il fallait vraiment tout jouer, pour Khayila, pour Akh’tri, et pour sa sœur. Plus que jamais il était déterminé à les retrouver. Il avait autant de raison qu’ils mettaient de gens en danger par leurs actes. Autant dire qu’il y avait largement de quoi se motiver.
Il arriva enfin devant la porte de la maison de Livia et frappe un coup, puis deux, puis un.
Le raaksah, contrairement à l’enchanteresse, évitait tout mouvement brusque. C'était, certes, lié a ses soucis de proportions, mais aussi et surtout, car telle était sa nature. Une nature renforcée par des années à servir de garde du corps. Une force calme, une maîtrise de soi a tout instant, une présence. Lorsque les choses se corsaient, il devait savoir être menaçant tout en restant dans la mesure. Savoir rester poli et à sa place jusqu'au moment délicat ou il fallait ne plus l'être pour rappeler aux audacieux qu'il n'était pas juste de la décoration.
La transformation du jeune raaksah sans le sou à ça n'avait pas été facile. Il avait longtemps eu l'impression de se renier lui-même, mais il avait pris sur lui, pour ne pas poser de problème à sa sœur, preuve qu'il était, au fond, fait pour ce métier. Son vrai défaut, celui qui l'avait pénalisé ces derniers jours encore, c'était son incapacité à taire son tempérament sanguin quand il s'agissait de s'en prendre à ceux qui avait blessé ses proches.
Il prit alors le verre, aussi délicatement qu'il put, observant ce breuvage qui semblait tant plaire à la magicienne. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait cette boisson, elle semblait commune dans ce royaume. Il se questionna un instant sur sa phrase avortée. Mais avant qu'il ne prenne le temps de répondre, elle lui asséna, probablement involontairement, un coup qu'il eut du mal à encaisser. Dans sa maladresse, elle avait exprimé les choses de manière intéressante, comme s'il avait été un être vivant qui lui été cher. Il aurait pu s'en amusait si la situation n'était pas aussi critique.
"Ce qui m'importe ce sont les gens. Vous allez bien, Donovan se rétablit, Brida semble en bonne voie pour se rétablir...", commença le garde du corps,"le Marteau est un moyen, et grâce à votre aide, il le sera aussi ici, il nous permettra de suivre leur avancée."
Il but alors une légère gorgée de l'alcool inconnu pour lui. Il était amer, mais curieux. Sans dire qu'il l'aimait, il avait au moins l'envie de le goûter à nouveau.
"Il est plus important que ma vie, car il est le moyen d’éviter que certaines choses ne soient utilisées à mauvais escient. Cela pourrait mettre en danger beaucoup de monde."
Il ne disait pas tout, évidemment. Il avait forcément un lien affectif envers cette arme. Elle était un souvenir de celui qui lui avait fait confiance, il était la preuve de l'estime qui lui avait porté. Cet artefact était plus qu'un moyen. À ce titre il ferait ce qu'il faut pour le récupérer.
Livia l'observa un sourire aux lèvres en lui apportant un verre de vin.
— Alors goûtez, vous m'en direz des nouvelles, Zad ! Du vin d'Argelas, vous connaissez le blo...
Elle s'interrompit, un sourire aux lèvres, réprimant une digression sur le bloball, en observant le Raaksah. Elle ne pouvait que difficilement cacher le plaisir qu’elle avait à recevoir Zad chez elle, il ne fallait pas qu’elle le fasse fuir.. Après tout, c’était toute l’utilité d’avoir une maison et de ne pas vivre à Gathol. La grande vie, le grand air et les grands amis. Elle ne s’arrêta pas sur le doute qui l’avait envahie.
— Vous savez ce que l’on dit : ce qui est fait n’est plus à faire.
Livia s’en alla remplir deux verres à pied de vin et s’installa à table, faisant taire la bavarde en elle et lui demanda le plus sérieusement du monde.
— Vous allez bien ? Je me doute qu’il vous manque énormément, bien sûr.
Brusquement elle se sentit gauche et mal à l’aise, mais le dissimula derrière un sourire - après tout, la seule chose musclée chez elle était ses zygomatiques. Elle voulait vraiment savoir comment allait le Raaksah, mais elle se rendait compte que finalement elle ne connaissait que bien peu de choses de lui.
Il l'observa s'agitait en souriant. Était elle toujours ainsi ? Elle semblait plus volatile que jamais dans sa demeure. Il semblerait aussi qu'ici, la fonction d'hôte soit prise tout a fait sérieusement. Cela dit, cela surprenait le raaksah qu'elle se conforme aux normes, elle qui semblait généralement ne pas en tenir compte.
En tout cas, elle allait mieux, c'était l'essentiel. Apres ce qu'elle avait subit de Zalfiel...il retint un grognement à cette pensée. Il allait lui faire payer. C'était son rôle, il n'était pas mage lui. Et désormais, c'était devenu personnel. Il paierait chacun des coups qu'il avait donner à Livia.
"Ne vous en faite pas, ce que vous avez à me proposer suffira amplement", répondit-il, en souriant légèrement, l'esprit encore un peu agacé par la pensée de l'évènement.
Ce n'était pas que de la politesse, il ne se soucier pas vraiment de savoir ce qu'il allait boire, il n'avait pas encore gouter le quart de ce qu'il y avait a boire. Il n'était pas un grand aventurier a ce niveau : s'il était parfois curieux, il aimait aussi se rattacher à des valeurs sures, le rhum en était une.
Il l'observa alors et se rendit compte qu'il l'avait tutoyé avant de reprendre son vouvoiement. Il ne savais jamais trop sur quel patte danser avec elle. Il la respecter grandement et ne souhaitait pas se montrer impoli et, en même temps, il avait une espèce d'aisance naturelle en sa présence.
Il récupéra alors la carte, et la rangea précieusement dans son sac.
"Cela aurait put attendre encore un peu vous savez ?", il eut un sourire. "A moins que vous n'ayez pas beaucoup de temps a m'accorder.", il fit une courte pause et enchaina avant qu'elle ne puisse réellement répondre. "En tout cas, je suis ravi de voir que vous allez bien malgré tout ça."
Livia observa la grande silhouette du Raaksah dans son petit intérieur, se demandant si elle ne devrait pas faire agrandir l'encadrement de la porte, sortie de ses pensées elle entendit la voix du Raaksah.
"Je veux bien un rhum, merci"
L'enchanteresse haussa un peu les sourcils avant d'afficher une moue contrite.
- Je suis désolée, je n'ai pas penser à en prendre... J'ai du vin, si vous voulez, ou de l'eau ? J'ai éventuellement du thé, si vous aimez ça, la jeune femme papillonna vers son étagère, dans l'empressement de trouver quelque chose qui pourrait convenir au Raaksah.
Elle fouillait toujours avec un certain empressement parmi les bouteilles parfaitement rangées avant de se rendre compte qu'elle tenait toujours l'étoffe inachevée entre ses mains. D'un soupir, elle la déposa sur le côté, peut-être que c'était la providence qui s'était incarnée dans le Raaksah, elle pourrait faire mieux que ce qu'elle avait prévu. Ne jamais se satisfaire de quelque chose de moyen, il ne fallait que le meilleur.
"Je ne te dérange pas j'espère ? Je venais te voir a propos de la carte."
- Vous ne me dérangez pas ! Je finissais quelques artefacts pour le voyage. Oh, et le carte...
Elle abandonna alors sa recherche d'une bouteille et d'un bon verre - ou chope serait plus adapté aux pattes du Raaksah - pour fuser vers le coffret où elle avait rangé l'artefact en attendant. Elle le déposa devant lui. Une petite pierre peinte en noir, avec une carte du monde, rien de plus, rien de moins.
- La voici !, s'exclama-t-elle un sourire aux lèvres.
A l'ouverture de la porte, Zad eut son sourire habituel. Il appréciait toujours la compagnie de Livia. Elle était probablement la personne en qui il avait le plus confiance sur ce continent et, en plus de cela, il trouvait sa compagnie agréable. Pour un étranger nouvellement arrivé, c'était une chance.
Il entra donc, tentant de la suivre sans trop perturber l'ecosystème local peu habitué à sa carrure. Il s'approcha alors de la pièce à vivre en répondant à la question.
"Je veux bien un rhum, merci"
Il observa un moment les chaises et préféra finalement rester debout.
"Je ne te dérange pas j'espère ? Je venais te voir a propos de la carte."
La maison de Livia Fossecrelle n’était pas bien grande, elle payait encore les rentes de son achat. Mais elle lui appartenait, et elle ne l’avait pas acheté avec l’or de ses parents. Non, toutes ces années à faire des tutorats en parallèle de ses études, à vendre quelques breloques avaient servi à rembourser les traites de sa demeure. Un jeu sur le fil au cours duquel ses professeurs l’avaient aidée à se sortir la tête de l’eau. Jamais ils ne lui avaient donné quoique ce soit, Livia n’aurait jamais pu accepter, mais ils avaient parlé d’elle aux élèves et parfois aux parents. Aussi, elle avait très tôt appris à s’organiser, ce qui se révélait lorsque l’on entrait chez elle.
Sur une étagère, que l’on retrouvait sur le mur à droite en entrant, on y retrouvait sous verre divers objets : une boîte à musique, un hochet, un cheval en bois, un carnet et un miroir à main. Ils se faisaient une place à côté de l’armoire qui se trouvait juste à l’entrée. Livia l’avait volontairement placée là pour pouvoir la balancer sur un potentiel agresseur qui voudrait entrer par effraction chez elle, aussi elle ne contenait que très peu d’objets de valeur. Plutôt des ingrédients, des pots, quelques livres à la couverture usée, et une plante.
A gauche, une grande table pour quatre personnes au vu des chaises, qui semblait être finalement adaptée à ce que six personnes s’y installent. Une tâche brunie obscurcissait le milieu de la table, comme brûlée et grignotée. En réalité, des artefacts avaient implosé sur ce lieu. On ne les comptait plus, et il fallait considérer que la table était protégée par divers enchantements.
Sur les murs, on retrouvait des tableaux, tous du même artiste et des nuances sans couleurs. Ils représentaient des corbeaux et des colombes.
Au nord, face à deux grandes fenêtres qui auraient baigné la demeure de leur douce clarté, le tapis avait été roulé et déposé sur un coin. Diverses bougies encadraient un cercle de pouvoir tracé par un étrange mélange d’herbes. Livia se tenait en son centre, entre ses doigts une écharpe écrue faite en lin. On y distinguait des motifs faits d’une couleur à peine plus claire. Elle incantait, d’une voix claire, Livia connaissait les dangers de la magie. Comme tous ceux qui avaient été les victimes ou les héros du Conseil des Mages.
Pourtant, dans cet instant, lorsqu’elle incantait et qu’elle ressentait ce que nul ne saurait expliquer tant qu’il ne l’aurait pas vécu. C’était difficilement explicable, mais elle sentait tout ce qui composait l’objet, elle avait avec ceux-ci une tendresse toute particulière. Les coups toqués sur la porte firent remonter dans son échine un frisson d’agacement.
Ils avaient brisé l’instant d’osmose parfaite entre son don, sa magie et cet objet durant lequel elle tissait de son don une toile plus spécifique encore que des broderies.
Pour autant, elle s’avança vers la porte, sans se sentir prête à déposer son œuvre incomplète. Elle l’entrouvrit, glissant un œil et lorsqu’elle vit Zad, l’ouvrit complètement.
- Oh, Zad !, un sourire étira ses lèvres, l’agacement s’étant dissipé à l’instant où elle avait dû lever les yeux encore et encore pour observer le Raaksah, entrez, entrez je vous en prie.
Aussi vite qu’elle était apparue, elle disparu à l’intérieur de la maison. Uniquement nimbé de la lueur des bougies, il y régnait une douce odeur de bois de santal.
- Vous voulez boire quelque chose ?, l’interrogea-t-elle en tentant de réprimer le sourire ravi qui faisait briller ses yeux sans une once de réussite.