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[Antagara] Une histoire de charrettes et de "nulle part"
Texte de Ràlas
Oh, vous êtes là. Êtes-vous sûr que vous êtes au bon endroit ? Vous ne savez pas ? Ce n’est pas grave, installez-vous. Il n’y a rien de tel que les histoires pour passer le temps. Une histoire, oui. Laquelle ? Vous êtes bien curieux tout à coup. Pourtant, si je vous dis quelle histoire tout de suite, ça gâche la surprise, non ? Ou alors espérez-vous entendre à nouveau une histoire que vous aimez. Si c’est le cas, vous ne pourriez pas avoir plus tort.
De toute manière, cette histoire n’a pas vraiment de nom, et en cela on pourrait dire que son héroïne est éponyme. On la dit parfois née de Brastos et Fulrullia, on raconte qu’elle est née un luth à la main, on murmure même qu’elle aurait su jouer avant de parler, et que son langage ne raconte rien, mais que ses notes disent tout. Qui n’a jamais entendu ses notes ne la connaît pas. Seules les cordes de son luth vibrent de vérité, celles de sa voix ne sont que pour duper.
L’histoire commence au milieu de nulle part, à bord d’une charrette. D’ailleurs elle continue et elle finit ainsi. Quoi ? Comment cela, je vous ai divulgâché la fin ? Mais non, ça n'a pas d’importance. Ce qui est important c’est de bien en comprendre le contexte. Une charrette, un luth, et pas vraiment grand-chose d’autre. Ça à l’air ennuyeux ? Oh, je ne vous retiens pas, vous savez. Mais tout cela n’est que le contexte. Il y a plusieurs charrettes, et plusieurs nuls parts. D’ailleurs, si vous me laissiez commencer, on pourrait peut-être commencer par arriver quelque part.
Donc, que disions-nous ? Ah ! Oui, les charrettes. Le problème des charrettes, pour elle, c’est qu’elle avait hérité de Brastos son sang d’elfe et que ce “nulle part” était situé dans le royaume humain. Ses amis grandissaient vite, ses amoureux aussi. Elle avait son propre rythme, mais la vie des humains est courte et ils ne savent pas attendre. Elle a fini par tomber de la charrette, car ils allaient trop vite. Et encore à nouveau, plusieurs fois, et encore au moins une fois de plus.
Malgré tout, l’avantage, quand on possède en partie le sang des sylvains, c’est qu’il y a de grandes chances pour que l’on perçoive naturellement ce que d’autres peuvent mettre des années à appréhender. Grâce à cela, elle avait trouvé une nouvelle charrette, quelques itinérants adeptes de la manipulation des flux. Avec une grande patience et beaucoup de bienveillance, mais avec peu de souplesse, on tenta de lui expliquer ce qu'elle ressentait concernant les flux. Le souci était qu'elle ne comprenait pas. Elle pensait que les adultes voulaient imposer leur vision et leurs règles aux flux. Il faut rappeler qu'elle ne parlait pas réellement avec des mots, elle trouvait les notes plus simples à comprendre et à communiquer. Pour elle, les flux ressemblaient à des instruments, et elle devait découvrir comment en faire raisonner les notes. Et comme la musique, elle pensait qu'il n'était pas question de logique, mais de sensations, de ressentis, d’émotions.
Mais leurs efforts ne furent pas complètement vains, quand bien même elle n’arrivait pas à faire de magie après plusieurs années, malgré un don inné, elle eut des notions essentielles à tout mage.Son incompréhension de leur magie provoquera, malheureusement, une nouvelle séparation.
Elle portera son luth dans de nombreux groupes de troubadour. Et à mesure qu’elle apprenait à mieux comprendre la musique, elle apprenait à affiner sa propre vision des flux. Pour elle, les deux étaient similaires, voire identiques, elle devait juste apprendre à jouer des flux comme elle avait appris à jouer de son luth.
Dans ces différentes charrettes, voyageant de ville en ville, elle apprit à jouer de nombreux nouveaux instruments, et elle comprit alors que chaque instrument avait ses spécificités et sa manière d’être joué. Et à mesure qu’elle découvrait de nouvelles manières de jouer, elle découvrait des pistes pour jouer des flux. Et un jour, elle fut capable de produire quelques manifestations magiques dans leurs représentations, rien de bien utile ni impressionnant, mais cela ajoutait au spectacle. Ce qui impressionna les fins connaisseurs, c’était qu'elle n’avait visiblement pas parlé pour libérer ses sortilèges.
Impossible ? C’est ce que vous pensez ? Il y a pourtant des moyens d’utiliser de la magie sans utiliser de langage. Les glyphes et enchantements, par exemple. Mais je n’ai jamais dit qu’elle n’avait pas utilisé de langage, simplement qu’elle n’avait pas parlé. Et je vous ai déjà dit qu’elle ne s’exprimait réellement que par les notes qu’elle jouait. La musique est un langage. Chaque note est une lettre, ou un mot, et selon comment on les assemble ou la manière dont on les produit, ils font ressentir des émotions aussi variées que complexes.
Vous n’y croyez pas ? Oh, après tout, c’est votre problème. Beaucoup ont cru, eux aussi, à des glyphes ou des enchantements et ne se sont pas attardés sur son œuvre. Mais la Confrérie, elle, l’a remarquée. Comment ça, qui ça ? La Confrérie, voyons. La Confrérie des Arts ! Vous ne voyez pas ? Et bien, pour résumer, c’est un groupe de gens qui lui ressemble, à la fois artiste et mage. Mais pas que. Aventuriers, duellistes, navigateurs, et bien d’autres. Qu’est-ce qu’ils les regroupent ? Et bien, l’Art, bien sûr. Ils mettent l’art au service de leurs autres talents, ou, et parfois et, inversement.
Mais revenons-en à notre héroïne, comment s'appelle-t-elle déjà ? Ah, il est vrai qu’elle n’avait pas vraiment encore de nom. Bien sûr, on lui avait trouvé de quoi l’appeler, mais aucun de ceux qu’on lui avait donnés n’avait vraiment résonné en elle. Si elle avait dû choisir un “nom” à cette époque, quelque chose auquel elle s’identifiait, cela aurait été un “La bémol majeur, joué sur un luth désaccordé d'environ un douzième de demi-ton sur chaque corde, joué avec vigueur, et durant une croche”. Mais il s’avère que c’est nettement plus joli à écouter qu’a prononcé verbalement. Encore que le côté désaccordé n’aide pas à rendre le tout très plaisant. Et puis, tout le monde n’avait pas un luth désaccordé sous la main en permanence pour évoquer son nom.
Enfin bon, "La bémol", pour les intimes, avait donc trouvé un groupe auquel elle arrivait bien à s'intégrer. Et c’est le moment de notre histoire où il n’y a plus trop de charrettes et de "nulle part". Il y avait un grand bâtiment et une ville. Laquelle ? Malheureusement, personne ne le sait. Mais là-bas, elle a appris à user des cordes et des vents pour utiliser la magie. Ce fut, sans trop de surprises, l’altération qui l’attira et qui fut son domaine de prédilection. Principalement la transmutation et la métamorphose. Très loin d’être experte dans aucun des domaines de la magie, elle se contentera d’une grande diversité de sorts novices et amateurs piochés çà et là. Et dans ce quelque part, dont personne ne connaît le nom, elle terminera son enfance, non sans de nombreux voyages et spectacles.
Mais je vous sens dubitatif. Est-ce le mot enfant qui vous surprend ? Alors vous devriez comprendre un peu mieux les soucis de sa jeunesse. Elle a, en effet, plus de 30 années à ce moment, mais si c’est l'âge d’une humaine mature, elle, elle entre tout juste dans son adolescence. Les enfants avec qui elle avait vécu ses premières années étaient tous des adultes responsables quand elle peinait encore à trouver un sens au monde qui l’entourait et à elle-même. Elle était en décalage avec son monde. Comme une corde mal accordée, elle faisait tache au milieu des autres.
Mais si l’enfance est une étape difficile pour une demi-elfe, que dire de l’adolescence ? La période des premiers émois, et des premiers ébats. Mais au fond, il n’y a pas grand-chose à en dire. Elle s’y affirma comme une troubadour indépendante tout en affinant son apprentissage auprès de la Confrérie. Des années conflictuelles et tumultueuses, mais des tumultes d’une adolescente incapable de grandir aussi vite que ceux avec qui elle sympathise ; et plus si affinité.
Ce sera la naissance de cette troubadour sans attache. Une demi-elfe rousse, portant un luth et un cache-œil et voyageant de ville en ville, de groupe en groupe, d’homme en femme. Celle que l’on ne fait que croiser, mais dont les notes résonnent encore bien après.
Elle change de vie comme on passe d’un accord à l’autre. Mais, peut-être, elle l'espère, je crois, change-t-elle la vie, parfois, de ceux qui entendent ses notes.
Des noms, elle en a autant que d’accord à son luth. C’est pour cela qu’elle n’en a pas.
Ou pas vraiment.
Un nom revient, peut-être le sien : Antagara.