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Écrit dans les étoiles

Écrit dans les étoilesTexte de Meln
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Texte de Meln

Au sud des terres de Roland, à une longitude se rapprochant de celle du château royal, le village de Pernt surplombait la mer qui s’étendait à perte de vue. Ce village était traversé d’est en ouest par la route côtière si bien qu’il accueillait en son centre une auberge et une taverne.  Ainsi, de temps à autres, quelques privilégiés venus profiter du splendide paysage y séjournaient entre autres voyageurs plus communs.

Une pente ouvrait les falaises en deux, donnant accès au rivage par un chemin sinueux. Ce dernier serpentait entre les falaises, reliant le village à l’eau sombre, profonde et poisonneuse qu’une mince plage de galets bordait. En bas, un ponton flottant avait été établi pour prolonger un accès surélevé par des pilotis. Mêmes si les quelques bateaux de pêcheurs amarrés à ce moment étaient à des lieues des gros navires que l’on pouvait trouver à Trigorn, on y trouvait de la place pour de plus grosses embarcations néanmoins.

Le vent marin, chargée de son odeur caractéristique au contact de l’eau, remontait pour déferler sur la plaine en contre-haut, apportant avec lui une fraicheur agréable à un moniac sur le déclin.


Un homme approcha la falaise en ce milieu de journée, laissant ses yeux se planter dans l’horizon. Dans sa dextre étaient tenues les cordelettes d’un sac de voyage passé par-dessus l’épaule et dans la sénestre une canne. Cela faisait longtemps que Balmer n’était pas venu ici. Après avoir traversé la moitié du royaume à pieds, en effectuant des circonvolutions autour de ses haltes qui plus est, faire face à la mer indiquait la fin de ce périple ainsi qu’un répit de courte durée dans sa vie marquée par la capitale.

 

Ici les préoccupations étaient autres et influençaient l’ambiance globale du site. Les pirates étaient plus célèbres que les mages qui ne venaient presque jamais fouler ces terres du pied. L’artisanat prenait le pas sur la culture du sol et s’exportait aux villages environnants en même temps que le poisson séché en échange d’autres denrées alimentaires.

Le mage se dirigea après un temps en direction de la taverne dont des rires aux éclats s’échappaient avec plus de clarté à mesure qu’il se rapprochait.


En poussant la porte, il vit les responsables : des marins trinquant un retour fructueux. Ou y avait-il une raison de trinquer ?

Il s’assit au comptoir pour commander une cervoise ainsi qu’une portion de ragoût puis se retira pour une table le long d’un mur après avoir été servi. Alors qu’il se sustentait en se laissant bercer par la mélodie des voix rauques qui s’entrechoquaient dans l’établissement, il se surprit à prêter attention au contenu des échanges.

Un certain Rodéric plaisantait avec la serveuse qu’il pourrait boire plus que ce qu’elle pourrait lui offrir, entouré de ses matelots aux rires gras.  Recueillir des informations avait été une grande part de la vie du voyageur, ainsi il trouvait l’exercice de profiter du moment présent difficile.


Il se rendait compte qu’il avait atteint un sommet dans sa pratique de la magie mais il voyait cependant très clairement des hauteurs qui lui étaient hors de portée, comme une crevasse infranchissable derrière laquelle se trouverait une vaste étendue. Son énergie empruntait des chemins théoriquement sensés mais sans répercussions concrètes.

Il s’était déjà demandé comment franchir le pas, comment aller au-delà. Jusqu’à présent sa magie avait été ingénieuse mais pratique, construite en se basant sur le fonctionnement du monde pour s’en accaparer les secrets. Il se heurtait à présent aux limites physiques de sa personne ; sa pratique était si limpide qu’il jurerait que respirer soit plus difficile. Mais il prenait un peu plus conscience encore que la magie s’envolait chaque fois plus loin à mesure que l’on approchait de son intimité, laissant un champ sur lequel seuls les pieds les plus aguerris pouvaient se poser.


Une voix au fond de lui lui conseillait d’essayer de pratiquer la magie pour la magie, de vivre la vie pour la vie. Son périple avait commencé ainsi, sans but, tentant de trouver un chemin vers une épiphanie.

Tenter de façonner cette voie de l’intérieur en recréant sa magie hors des flux avait été une piste ambitieuse, même si amusante. La tracer à travers les autres en exprimant son être au dehors était incertain. Il se donnerait la peine de continuer, mais pas avant d’avoir le cœur net à propos de la marche à suivre.

Chercher la marche à suivre en marchant, l’ironie du sort ne lui avait pas échappé… Peut-être finirait-il d’ailleurs forgeron… de chemins.


Il aurait apprécié effectuer ce voyage avec celle qui était devenue sa femme, mais il n’avait pas voulu, pas cette fois. Il fallait qu’il se perde. Et il était revenu là où tout a commencé le concernant.

 

Une fois repu, il sortit et emprunta le chemin pour bifurquer en direction de la côte cette fois-ci. Après quelques minutes d’une rude descente il foulait les planches du ponton, sa route vers le sud bloquée. Oh, il aurait pu continuer en nageant, certes, mais il n’était pas sot et opta plutôt pour s’assoir sur le rebord, les jambes dans le vide.


Il se mit à observer les vaguelettes à la surface de l’eau un moment ; peut-être l’inspireraient-elles. En imprégnant l’eau de son mana, le parcours des particules se révélait. Il avait abandonné assez tôt l’hydromancie. Il jugeait ce domaine extrêmement complexe à appréhender sans raccourci. Mais il s’y remit tout de même et s’abandonna à la magie. La magie… 


…Si tous les chemins mènent à Proncilia, que trouvons-nous lorsque nous allons dans l’autre sens ? L’éther ?...


Ses yeux à moitié clos, il resta assis comme ça longuement, semblant contempler l’étendue bleutée… puis l’étendue noire.

Au bout de longues heures dans cet état, la nuit était tombée mais n’avait pas rompu son immersion. La mer d’étoiles rendue visible par le ciel découvert se reflétait ici-bas en un brouillard lumineux diffus éclairant les flots.


Les marins ne prenaient généralement pas la mer après le déjeuner mais certains assuraient l’entretien du matériel dans les bateaux. Aussi quelques personnes avait remarqué qu’un homme qui devait particulièrement aimer la mer était resté assis là depuis des heures. Certains pensaient qu’il devait avoir une peine de cœur et avait besoin de se retrouver seul avec la mer pour faire le point. D’autres se disaient qu’il avait dû réussir à s’endormir tout en restant assis. 

 

Du village aussi cela n’avait pas échappé aux yeux les plus attentifs, et quelques remarques sans importance avait été émises sans que personne n’y ait véritablement prêté grande attention.


Ce n’est que le lendemain matin aux aurores, lorsque les pêcheurs partaient alors que le jour ne s’était pas tout à fait levé, que cela devint troublant. L’homme était toujours là, au même endroit.


« Hé Marvec attends! C’gars est là d’puis hier comme ça, dit un marin d’une quarantaine d’années d’une voix légèrement brisée et curieuse en pointant le bord du ponton. J’vais aller voir, c’est pas normal.

—Ah ouais ? T’en as d’autres des comme ça? Il fait presque jour, c’plus l’moment pour me fout’ la frousse, répondit un autre homme au visage un peu plus hardi.

—Non j’suis sérieux, c’est complètement bizarre.

—Héhé bon j’viens avec toi. »


Devant la mine qu’il devinait piquée de doutes de son compère il concéda de l’accompagner pour voir ce qu’il en était.

Ils s’approchèrent ainsi de l’homme assis et s’enquirent en arrivant à hauteur :

« Sire, tout va bien ?! Vous êtes là depuis longtemps », lança le premier homme qui répondait au nom de Rivelin.

Un moment de silence s’installa au bout duquel les deux marins décidèrent de passer par le côté dans l’intention de se faire remarquer davantage et pouvoir observer le visage de l’inconnu.

« Sire ? insista-t-il en arrivant à hauteur.

— Hm ? Oh- Hé Rivelin ! R’garde ça, il a encore les yeux ouverts », s’exclama Marvec, surpris.

Il passa sa main devant les visage de l’homme étrange comme pour vérifier s’il était conscient.

Aucune réaction.

Puis il tenta de le secouer légèrement par l’épaule, sans guère plus de résultat.

« Tu crois qu’il s’est fait dévorer son âme ? sonda Rivelin.

—Tch ! J’ai jamais vu d’sirène ici, répondit Marvec.

—Elles font pas ça, si ? J’croyais qu’elles les dévoraient tout court. En plus il a l’air vivant, dit-il en prenant son pouls. … On fait quoi ? On l’laisse ici ?

—Bah on va pas payer un mire pour un inconnu. On peut l’remon- Hé, il a cligné des yeux !

—Ah tu vas pas m’faire peur à ton tour, j’te connais trop canaille, ça n’marche pas, balaya Rivelin d’un aller-retour de la tête.

—Non, j’te jure, aide moi à l’remonter, il est p’t’être pas fichu, insista Marvec

—Hm », acquiesça son interlocuteur en fixant l’inconnu, peu sûr de s’il avait vraiment le choix et de ce que cela donnerait.


Les deux pêcheurs transportèrent l’homme tranquille tout le long du chemin raide à grande peine. Les paupières de ce dernier se fermèrent complètement à mesure qu’il s’éloignait de l’eau.

Il fut emmené chez Marvec et disposé sur un lit.


« Qu’est-ce que tu m’ramènes dans not’ lit ? s’enquit sa femme clairement surprise du retour si précoce de son époux.

—On l’a trouvé au bord de l’eau avec Rivelin en partant, il était inconscient.

—Ca alors, il en a un sacré paquet d’blé, r’garde ça ! » s’exclama-t-elle en remarquant les pièces d’or à la ceinture de l’alité. Elle les examina alors avec attention sous les rayons de soleil passant par la fenêtre.

« Touche pas. On prendra s’il s’en sort pas seulement. 

« Oh, c’est bon ! Il se soucierait même pas d’une pièce ou deux en moins », rétorqua sa femme en le dévisageant.

—… moi j’ai de l’honneur », assena le mari.

Sa femme regarda ailleurs, goûtant la remarque acerbe puis consentit finalement en soupirant.


Marvec repartit pêcher ce matin-là mais quand il revint, rien n’avait changé. Il demanda à plusieurs personnes leur avis au cours de la journée, sans aucune piste probante, et décida finalement de payer avec les sous de l’homme une chambre à l’auberge du village et de l’y laisser la nuit.


Balmer était conscient tout ce temps, mais sa conscience était ailleurs. Il traquait son mana voguant au gré des vagues depuis la veille, et toute son attention était portée là-bas, au loin. Ce qui était d’abord un fluide était rapidement devenu un nuage avant de se disloquer. Il observait ces points se rencontrer et surtout prendre leur indépendance, finissant dans la solitude la plus complète au milieu d’autres de leurs pairs mais aucun du même âge. Certains s’éteignaient, devenus autre chose que de l’eau, d’autres continuaient toujours plus loin ou plus haut.

Que cherchaient-ils ?

Il scrutait le comportement des particules ainsi que le chemin qu’elles empruntaient avec une attention de tous les instants. Il voulait aller jusqu’au bout et comprendre ce qui se jouait des eaux comme des hommes.

Ses points d’ancrage dans la mer se perdirent un à un, trop changeants pour sa simple pensée. Il s’était accroché jusqu’au moment où une seule particule était restée de l’eau.


Il dérivait à présent la position de cette dernière à distance par les traces laissées dans l’éther. Et, alors que la nuit tombait à nouveau, cette eau s’échoua en un dernier soupire sur la coque d’un large bateau.

Elle perdit sa nature à contrer la voilure gonflée par le vent d’une caraque fendant les vagues, comme si sa destinée avait été de lutter contre ce géant. De simple eau jusqu’alors, elle fut également un souvenir vivide gravé dans le bois maintenant… magique !


Il lui vint à ce moment quelques concepts durant le temps d’un profond sommeil :

Toutes choses du monde surgissent

Sans qu’elles en soient les auteurs.

Elles produisent sans s’approprier,

Elles agissent sans rien attendre,

Leur œuvre accomplie, elles ne s’y attachent pas,

Et puisqu’elles ne s’y attachent pas,

Leur œuvre restera.


Lorsque la pente est raide, le monde la gravit ;

Les nuages blancs sont les compagnons de son pur loisir ;

Dans sa quiétude, il jouit d’un éternel bonheur.

Seules les étoiles connaissent une telle joie.

L’affection, la désaffection ;

Cela ne fait aucune différence.


Le lieu est tout proche ;

Aucun chemin particulier n’y conduit.

Seul le temps qui s’écoule

Peut quitter son lit et s’y rendre.

Celui qui suit les indications d’un guide

Ne trouvera qu’un pont glissant et couvert de mousse.


Et il ouvrit les yeux au petit matin.


Il vit un plafond de bois puis se redressa pour observer la pièce, jeta un vif regard sur sa personne et ne put retenir une frustration.

Il avait été vulnérable, bien plus encore que lorsqu’il dormait. En regardant l’intérieur de sa bourse, il comprit qu’il n’avait pas choisi de dépenser. Sa vie avait échappé à ses mains l’espace de deux nuits pendant lesquelles il cherchait.

Balmer avait pesé le pour et le contre ; il avait conclu qu’ainsi était plus sûr. Non pas qu’il eut percé les secrets du destin, mais qu’à la vue de tous, plutôt que d’une seule personne, les pulsions se faisaient plus douces.

Il n’aimait pas s’en remettre à la chance et considérait qu’il valait mieux se tenir à l’écart du hasard. Mais si telle était sa voie à présent, il l’emprunterait d’un pas décidé.


Il écarta le drap de ses jambes et pivota afin de poser ses pieds sur le parquet ; celui-ci grinça légèrement sous son poids. Après un rapide dernier tour de la pièce visuellement, le mage récupéra sa canne sur la table et descendit les escaliers menant au hall d’entrée sereinement.


Le gérant qui avait le nez dans ses paperasses, jeta un coup d’œil par réflexe en direction du bruit qui descendait les marches menant au premier étage avant de se replonger dans son activité. Il ne capta pas grand-chose dans un premier temps, puis, réalisant dans un second temps plus clairement qui était la personne en question ses yeux s’écarquillèrent brièvement.

Il avait été là lorsqu’on lui avait amené cet homme inconscient et réalisait qu’il devait être quelqu’un d’important à son habillement ainsi qu’à la large somme qu’il portait sur lui. Le gérant avait hésité à lui dérober quelques effets mais avait fini par prioriser la réputation de son établissement. Cela serait une occasion d’accroitre l’influence du village. Il alla donc de l’avant et demanda d’un ton très respectueux sans pour autant tomber dans l’obséquiosité :

« Sire, je suis ravi que vous soyez rétabli. On vous a amené ici inconscient il y a deux jours de cela. Comment vous sentez-vous ?

—Très bien, je vous remercie, répondit Balmer d’un ton équanime en tournant la tête vers la personne derrière le comptoir. Pourriez-vous m’indiquer qui m’a amené ?

—Un pêcheur du village dénommé Marvec, il habite à l’angle de la rue mais il doit revenir un peu après midi de sa sortie en mer, dit-il en pointant en direction de la bâtisse du doigt.

—Je vois, veuillez garder ma chambre libre, je prendrai une nuit de plus », dit-il en posant une pièce d’argent sous les yeux de son interlocuteur avant de se diriger vers la sortie.


Il clencha ensuite la poignée de la porte et ouvrit cette dernière calmement pour passer au travers du chambranle, laissant ainsi son sac de voyage sur le lit de sa chambre. L’air frais l’envahit alors qu’il prit une profonde inspiration.

Son regard se dirigea ensuite vers la maison au coin de la rue mais il continua tout droit, décidant de flâner dans les allées du village un bon moment.

En marchant, ses bottes noires côtoyaient les charmes et les noyers entre les habitations, cernés d’une herbe verdie par les dernières pluies et retrouvant de la vigueur. Elles croisaient les goélands et bécasseaux un peu trop curieux fouillant encore les détritus au sol à l’abris des regards. Le passage des roues des charrettes, le vacarme des fumoirs à poisson, les frottements des coups de balais sur les terrasses, les cris des enfants qui courent : les bruits de l’activité matinale le traversaient. Pas après pas, son manteau de voyage recevait l’enchantement du commun qu’il avait jadis délaissé tandis qu’il ébauchait un certain émerveillement le faisant peu à peu oublier la magie.

Il continua, porté par cette expérience, son esprit lentement parfait par l’environnement.

 

Au détour d’une ruelle, son regard se posa plus longuement sur une jeune fille dans les prémices de l’adolescence qui étendait du linge. Les yeux dorés de cette dernière semblaient éteints alors qu’elle réalisait sa tâche, contrastant avec la vie grouillante qu’il percevait tout autour. Les longs cheveux noirs coiffant la tête de l’enfant donnaient au tableau des airs de nuit sans étoile.

Il n’avait pas posé les yeux sur un telle personne depuis son départ de la capitale, et les souvenirs des quartiers les plus populaires brisèrent d’une certaine façon son état de douce syntropie. 


Il détourna le regard pour observer une nouvelle fois son environnement. Tout semblait identique… et si différent à la fois. Un voile semblait s’être posé de nouveau sur le monde : insaisissable et vaporeux telle une chape d’inconscience recouvrant sa lucidité. 

Le voyageur ferma ses paupières et inspira profondément, il laissa les énergies résonner en lui avant que ses yeux ne se rouvrent pour observer la voie devant lui une fois de plus.

Ses pas continuèrent de le mener un temps à travers les habitations, temps pendant lequel il aura cherché à ressentir cet état fuyant une nouvelle fois, sans résultat.


Renonçant devant la voie sans issue que représentait cette quête, il décida d’emprunter le sentier descendant au rivage comme il l’avait déjà fait.

Il s’assit à mi-chemin sur un rocher bordant ce dernier et qui dominait la mer. D’ici il croiserait tout le monde et ressemblait davantage à une vigie qu’à un voyageur.

Il voulait prendre la mer, vivre cette continuité matérielle, et se rapprocher de ce dénommé Marvec était une idée. Il mènerait le bateau à lui plutôt que l’inverse.


Mais en contre-bas lui vint soudainement une idée plus lumineuse sous la forme d’une barque amarrée au port. Un modeste pêcheur était revenu un peu plus tôt et déchargeait sa cargaison.

Balmer se remit sur pieds et descendit pour aller à sa rencontre.


Il harangua l’homme d’un geste de la main tout en arrivant à hauteur :

« Sire ! Serait-il possible de louer votre barque pour le restant de la journée ? 

—La louer ? s’étonna le pêcheur. Pour sûr, ma pêche n’a pas été bonne aujourd’hui. Combien m’en f’rez-vous ?

—Quarante?

—Hm… ça m’va, acquiesça le marin, mais j’vous conseille de n’pas aller trop loin ou vous risqu’rez de vous perdre si vous n’avez pas l’habitude. Parfois les courants peuvent êtres forts.

—N’ayez crainte, j’ai une connaissance au moins basique. Mais vous pouvez tenir ça pour gage, rassura Balmer en tendant une bague en or et quarante pièces de cuivre.

—C’est…, commença le pêcheur surpris. Entendu, demandez Fenardt Olroy pour la récupérer.

—Fenardt Olroy, très bien », mémorisa Balmer à haute voix avant de sauter dans l’embarcation.


Il détacha la corde de la bite d’amarrage puis se saisit des rames qu’il actionna doucement. La gestuelle parut saccadée le temps des premiers cycles, mais rapidement les muscles de son dos se remémorèrent un passé lointain et sa coordination se fit fluide. Il ne put réprimer un sourire sincère alors qu’il gravait cette sensation de continuité dans son âme.


A l’issue d’un petit tour seulement, il accosta et réamarra la barque. Il remit ensuite les pieds sur le ponton… avant d’embarquer une seconde fois.

Il répéta ce cycle une bonne dizaine de fois, observant quelques poses de temps à autre pour considérer des points de confusion.

Puis, il commençait à ne faire que des allers-retours entre la barque et le ponton, sans même la détacher et sans s’arrêter.


Une heure plus tard environ, il avait loué presque tous les canots aux pêcheurs qui étaient revenus de leur sortie et qui avaient su saisir son offre. Le possesseur d’une véritable armada maintenant pouvait être aperçu par les villageois comme semblant s’amuser à passer de l’un à l’autre de ses navires. Inlassablement il marchait, enjambait et parfois sautait pour embarquer et désembarquer, comme un enfant aurait pu le faire si tant est que tous ces pêcheur lui en eut donné la permission. Le nouveau marin s’acclimatait progressivement à la transition entre terre et mer, entre différents paradigmes de progression pour en saisir la nature et étoffer sa compréhension.


L’information se propagea à toute vitesse cette fois. Les marins en discutèrent avec leurs amis et femme, qui eux-mêmes en parlèrent à leur entourage. Lorsqu’assemblée aux rumeurs de son histoire de l’avant-veille par les quelques personnes dans la confidence, son cas devint « le » sujet de discussion au goût du jour. Aussi, bon nombre de villageois avaient eu vent des agissements étranges d’un voyageur au port avant que le soleil n’eut atteint à son point de culmination. Certains regardaient du haut de la falaise, au loin et avec curiosité celui que l’on appelait déjà le Fou… ou l’Idiot, pour les plus cavaliers.


Vint l’heure du déjeuner après une bonne heure et demi. Ni Marvec, ni Rivelin n’étaient encore rentrés. Où peut-être l’étaient-ils mais n’avaient pas cru bon de « déranger » davantage Balmer en se présentant à lui, pensa ce dernier, tout du moins pour celui dont il connaissait l’existence.

Il fit alors une pose dans ses bizarreries et entama lentement son ascension jusqu’à la taverne où il prendrait son repas.


Dans la grand-rue, des têtes se retournaient par curiosité sur son passage. Il n’en fit rien, il savait pourquoi et avait renoncé à être compris par tous il y a de cela près d’un siècle.

Lorsqu’il poussa la porte de la taverne le phénomène s’accentua avec un bref silence se faisant observer ainsi que des coups d’œil dans sa direction, pour certains insistants.

Il avait l’habitude d’attirer les regards des gens à lui lorsqu’il sortait des rues pavées de Proncilia, mais cela n’avait jamais été ce genre d’instincts bassement grégaires, ces mêmes qu’il domptait d’ordinaire chez les autres pour obtenir ce qu’il désirait.

Il se dirigea cependant sans interruption au comptoir et commanda d’une élocution impeccable une soupe avec du pain. Le serveur acquiesça à la commande avec un sourire qui restait professionnel avant de l’inviter à s’assoir.

Balmer observa brièvement la salle : quelques tables étaient complètes, d’autres plus petites n’étaient utilisées que par des personnes seules, habitués de l’établissement ou gens de passage. Il opta pour une table libre et s’y installa pour patienter.


L’on vint le servir ou bout d’une minute. Sa soupe, fumante dans son bol, laissait transparaître sous la surface des morceaux de pommes de terre, carottes et navet avec quelques morceaux de viande. Il saisit sa cuillère et commença à manger.

Une cuillerée après l’autre il savourait, prenant le temps de se poser et d’oublier son but tandis que les autres se désintéressaient de lui progressivement. Il se resservit un second bol après avoir fini le premier.


Tout à coup, un villageois fit irruption dans la taverne, affolé.

« DES PIRATES APPROCHENT! CACHEZ VITE VOS AFFAIRES ! » cria-t-il.


Aussitôt les clients décollèrent leurs yeux écarquillés de leur assiette, se regardèrent brièvement puis se ruèrent chez eux dans une panique qui restait néanmoins organisée. De nombreux restes reposaient sur les tables dans la taverne vide.


…Combien de temps cela fait-il...


Balmer s’était souvent dit que son temps était précieux ; aussi avait-il à cœur que chaque seconde de sa vie soit dépensée à bon escient. Il s’était arrangé pour que son activité professionnelle soit la plus vivante et autonome possible, lui laissant le temps pour développer sa personne en même temps que la maîtrise de la magie.

Mais celle-ci se dérobait chaque fois devant lui à mesure qu’il avançait calmement le long de cette voie et qu’il comprenait, comme il l’aurait fait après un oiseau qui s’envolerait cependant chaque fois plus loin lorsqu’il pensait pouvoir l’atteindre. Avec les années il voyait cela comme un jeu qui lui faisait conserver une âme d’enfant : une impulsion vers la grandeur, une poursuite virtuelle de la vérité.

Les arts ésotériques le sont car ils ne touchent pas aux problématiques usuelles. Cela avait été vrai jusqu’à récemment pour lui, mais il doutait que cela le resterait à présent que l’oiseau se pavanait derrière un abîme sans fond. 


…que je ne ressens plus l’urgence ?…


Il avait déjà laissé les dangers avec son inexpérience sans s’en rendre compte, loin derrière lui en chemin. Mais l’éther se perdait dans le réel sous ses yeux à présent en une confusion organique.

Il comprit cela et courut les rattraper. Son cœur se mit à palpiter alors que l’excitation se déversait dans son sang sans qu’il n’eut à le commander.

Lui, qui avait prévu de rester manger sa soupe et son pain, le voilà qui avait envie de les voir maintenant, ces pirates. Peut-être apporteraient-ils bien plus qu’un bain de sang à celui qui n’en manquait pas.

Il recula sa chaise avec le dos de ses genoux puis se dirigea vers la sortie à son tour.


Les villageois se pressaient pour dissimuler les quelques objets de valeurs ainsi que les réserves excessives de nourriture qu’ils avaient. Les cachettes avaient été pensées même si l’utilisation de ces dernières semblait peu courante à la vue des quelques hésitations visibles. Sans doute cela avait été une préparation en réaction à une précédente attaque subie.


Balmer se posta en haut de la sente donnant sur la mer. Là-bas des hommes s’étaient déjà rassemblés pour observer l’arrivée des pirates. Il vit deux navires en approche : une imposante caraque à trois mats et brigantine accompagnée d’un large sloup de guerre à voiles auriques, plus petit en comparaison.

En marge du groupe, Balmer entendit quelques échanges crispés noyés au milieu de moultes discussions à voix basses :

« C’est vraiment Wynn « La Sabre Rouge » ? demanda un villageois.

—Ouais, pas d’doute. L’vieux Willy du bourg d’à côté nous l’avait décrit. Regarde l’aigle en tête de proue et le symbole sur les voiles, assura un aîné au visage grimaçant.

—Sont combien d’dans ? Deux-cents ? interrogea un troisième, visiblement tendu.

—Au moins…, répondit le plus âgé.

—J’croyais qu’ils étaient environ cent-cinquante sur trois navires d’après les survivants de l’attaque au village de Balerno.

—Ils ont du incorporer des matelots d’puis.

—Hé, regardez ! Ils jettent l’ancre au large ! fit remarqué le troisième villageois étonné alors que les deux bateaux s’arrêtèrent à bonne distance du port en position de tir.

—Qu- Ils sont si confiants ?! grommela un homme en serrant les dents, humilié.

—Attendons de voir… »


Des barques à avirons sortirent des navires et se posèrent sur l’eau puis une quinzaine de pirates y embarquèrent en direction du port.

Les villageois hésitèrent à aller prendre les armes pour se défendre — ce qu’ils firent au final par précaution. Ils saisirent leurs fourches, longs couteaux et autres armes improvisées mais optèrent pour tempérer alors qu’ils étaient placés sous le joug des canons.

Bientôt les quelques pirates accostèrent armés de sabres. Le gros de l’équipage pouvait être aperçu laissé au loin sur les ponts des navires.

Ils échangèrent quelques informations avec les marins restés sur l’eau en hurlant sans que personne n’arrive à comprendre quoi que ce soit du haut de la falaise.

Entre-temps, quelques femmes s’étaient jointes au groupe armées de bâtons en bois ou de piquets en métal, prévenues que la situation avait déviée légèrement des prévisions.


Les envahisseurs arpentèrent le sentier lentement, menés par un homme dans la quarantaine, brun aux cheveux longs coiffés d’un tricorne et vêtu d’une tenue d’un coton plutôt ample.

Quelques minutes plus tard, alors que la tête du meneur passait au-dessus de la ligne du sol, celui-ci vit l’attroupement lui bloquant le passage une vingtaine de pas plus loin. Les armes pointées vers lui et les bras qui se crispèrent le surprirent mais ne l’inquiétèrent pas le moins du monde.

Il avança  pour arriver à hauteur et laisser de la place à ses hommes. Les villageois purent alors constater sa carrure imposante mais les habitants du village étaient néanmoins rassurés par leur supériorité numérique écrasante.


Le capitaine balaya du regard l’assemblée en caressant sa courte barbe de la main d’un air de se demander « Mais qu’est-ce qu’ils me veulent ces timbrés ?! C’est pas écrit qu’on est des pirates sur notre gueule, si ? ».

Il avait pourtant débarqué avec des hommes qui présentaient à peu près correctement. Mais en regardant d’un peu plus près ces derniers, il ne put s’empêcher de concéder intérieurement :

« Bon d’accord, on y ressemble quand même pas mal, je suppose. Mais quand même ! »


Dans un éclair de réalisation son expression changea subtilement en un « On aurait quand même pas oublié de baisser le pavillon… » faisant finement suder son visage et il se retourna brusquement pour vérifier son navire principal.

Mais le pavillon était bien abaissé.


Finalement, en se retournant vers les villageois encore plus tendus par le silence qui s’installait, ses yeux s’écarquillèrent légèrement, indigné, dans une signification que l’on pourrait traduire par un « On n’serait quand même pas si connu que ça ?! On a encore buté personne ici !».


Tout cela ne prit que quelques instants seulement au bout desquels il prit la parole d’un ton nonchalant :

« Hm, je suis honoré par votre accueil. Je me demande ce que nous avons bien pu faire pour le méri-

—Ne nous la faite pas capitaine Wynn ! Qu’est-ce que vous êtes venu faire ici ? coupa un homme d’âge mur qui semblait être le maire du village à l’avant du groupe.

—Hoy, doucement ! C’est qu’il doit y avoir erreur sur… »

La bouche du pirate s’entrouvrit et il jeta par réflexe un coup d’œil à son second navire avant de comprendre. On aurait presque pu tirer un « Mais il était vraiment connu c’vieux barbu ?! » de son expression. Il posa un instant avant de continuer :

« Je ne suis pas un quelconque capitaine Bean ou je ne sais quoi. On m’appelle Draghan, grand pirate des mers du Nord, soyez rassurés. »

Rassurés ? Comment le pouvaient-ils ?

« C’est un navire du Sabre Rouge, interjecta un villageois en pointant le sloup en mer.

—Et quoi ? Je l’ai pris, il est à moi maintenant. Vous semblez pas bien l’aimer l’autre alors je vais accepter votre paiement en échange de vous avoir débarrassé de lui. Nous venons refaire les réserves de flotte et de fruits. Soit vous nous fournissez bien gentiment une part de ce que vous avez et on restera quelques jours à dépenser un peu ici. »

Son visage se ferma.

«  Soit mes hommes et moi sommes très confiants de pouvoir fuir jusqu’à l’eau avant que les autres ne viennent raser votre village. Que dites-vous de mon offre ? » dit Draghan en ouvrant les mains en direction du maire.

Le maire contempla les possibilités un court instant mais savait qu’ils ne sortiraient pas gagnant d’un affrontement. Il soupira et acquiesça finalement :

« Nous pouvons accepter mais seulement à la condition que pas plus de trente de vos hommes ne posent le pied à terre à la fois. Où nous aurions perdu avec encore plus de facilité. »

Draghan sembla considérer quelques secondes en regardant en l’air avant d’accepter ces termes.

« Très bien, faisons comme ça. Nous savons êtres raisonnables, répondit-il. Nous ne prendrons que pour nourrir cinquante hommes pendant vingt jours étant donné la taille de votre agglomération. Nous passerons dans chaque foyer prendre une contribution.

—Ne résistez pas, on compensera entre nous si besoin ! » avertit le maire à ses villageois.

Ces derniers commencèrent à quitter les lieux tandis que les pirates jubilaient mais ne montraient pas plus que de légers sourires en réponse. Eux-seuls savaient qu’ils n’était pas si nombreux dans l’équipage, et bien incapables de prendre d’assaut un village qui se défendrait en contre-haut d’une falaise.

Il ordonna cependant à un de ses homme de redescendre pour ramener davantage de main d’œuvre.


Soudain le regard du capitaine croisa la route de Balmer sur le côté. Celui-ci finissait son pain tranquillement. Il était tout ce que Draghan préférait : un homme riche en voyage mais qui se croyait toujours en sécurité.

« Vous pourrez contribuer un peu plus, dit le pirate dans sa direction.

—Je ne connaissais pas ce pirate répondant au nom de Wynn, dit « Le Sabre Rouge » il y a plus d’un quart d’heure et ne suis donc pas particulièrement reconnaissant de le voir se faire supplanter par un nouveau tel que vous. Je ne vous dois ainsi rien, statua le mage.

—On ne craint plus les pirates ? Les manières se perdent on dirait. Vous m’avez tout l’air d’un voyageur, les habitants ne risqueront pas cet accord pour défendre un étranger. Mais peut-être devrais-je faire un exemple…, regretta Draghan en dégainant son sabre et s’avançant pour l’exécuter.

—Oh il ne vaudrait mieux pas », déclara Balmer en réponse alors que son pouvoir se déchaînait à l’insu du public encore présent pour venir peser lourdement sur l’assaillant. Parmi les spectateurs, une paire d’yeux fut traversée d’une lueur un court instant alors qu’une jeune fille perçut le fort courant magique que les autres autour d’elle ne ressentaient pas. Elle fixa Balmer, alors que de nombreuses pensées traversaient sa tête.

Balmer continua :

« J’ai bien connu un pirate dans le temps, je me demande si vous sauriez me dire s’il écume toujours ces mers. Son nom est Sas-

—Je ne connais pas tous les abrutis de ces mers, coupa le pirate dans son agacement.

—-tacia. »

Draghan, quant à lui, s’était arrêté net dans son élan au début de la première phrase. Il avait eu envie de grimacer mais s’était retenu de toute ses forces pour garder un air naturel. Puis la pression s’était évaporée aussi vite qu’elle ne s’était condensée. Il regardait à présent sérieusement la personne en face de lui.


Draghan revenait à ses esprits alors qu’il commençait retrouver un certain recul avec les événements de l’instant précédent. Il réalisa alors le nom qui venait d’être prononcé et fut pris d’un choc.

« Vous connaissez l’vioque ?! J’ignore si c’est de lui dont vous parlez, répondit le capitaine, mais celui que je connais a été emporté par Vanilius il y a de cela une dizaine d’années.

—Oh, c’est regrettable. C’était un abruti pour sûr, mais avec du style ! Style qui se perd visiblement, répliqua Balmer en dévisageant l’homme devant lui.

—Mon style n’est pas visible sur la terre ferme, je le crains. Allons-y ! dit-il à ses hommes dernière lui. En son honneur je vous épargnerai. »


Les pirates retournèrent au bateau pour informer le reste et ramener les tonneaux vides. Sur le chemin une fois suffisamment éloignés les pirates ne purent se retenir de rire:

« Hé Capitaine ! J’vous tire mon chapeau que je n’ai pas. Piller un village comme ça entier avec une cinquantaine d’hommes seulement. Béhéhahaha ! 

—Hahaha ouais bravo les gars, ça fait du bien de se renouveler de temps en temps, j’y croyais pas, renchérit un autre.

—Faudra bien faire tourner les effectifs sur le pont par contre. Héhéhé ! rappela un troisième pirate.

—Tu t’en chargeras Wesley, répondit le capitaine le sourire aux lèvres.

—Ah… c’est que j’voulais boire à la taverne moi, s’indigna ce dernier.

—Tu boiras après.

—Tiens capitaine, pourquoi tu l’as pas buté le riche ? demanda-t-on alors, faisant retrouver son sérieux.

—J’ai senti mon sang frémir un court instant. Cet homme est dangereux : un putain de sorcier. Dites aux autres qu’il vaut mieux le laisser.»

Les hors-la-loi furent surpris de cette réponse mais firent néanmoins confiance au jugement de leur capitaine.


Les pirates s’organisèrent ensuite pour piller efficacement le village. Les tonneaux furent ramenés et remplis d’eau, de quelques denrées périssables mais surtout de chou fermenté et de biscuits secs les uns après les autres. Tout fut chaque fois goûté par des villageois pour prémunir un éventuel empoisonnement.



Pendant ce temps Balmer était parti finir son repas à la taverne avant de retourner au port pour retrouver les bateaux qu’il avait loués. Il fut accosté par Marvec qui revenait de sa sortie journalière pour prendre de ses nouvelles. Balmer l’informa de l’arrivée des pirates et le remercia pour la veille en l’invitant, lui et Rivelin, à la taverne boire dans l’après-midi.

Il but peu : il tenait à rester sobre en toutes circonstances, mais il apprécia partager des informations sur la vie d’ici en échange de certaines histoires curieuses de Vesperae qu’il avait sous la main.


Après qu’ils ne se soient séparés, il descendit à nouveau le chemin menant au port puis se posa au bord de l’eau. Il avait ressenti cela une fois de plus à la taverne : cette sensation de mettre le doigt sur le nœud du problème. Aussitôt qu’il avait tenté d’y mêler ses énergies pour cerner le phénomène, celui-ci s’était envolé.

Il sentait ce changement de cœur en lui.

 

… Et s’il fallait accepter de ne rien comprendre pour saisir l’inconcevable ? Ecrire l’impossible à l’aune de l’inconscience ; se perdre pour trouver le chemin. Suis-je prêt ?...


Alors que son pied s’apprêtait à se poser sur l’eau et à se tremper — il n’avait rien à perdre —, il fut rejoint par cette jeune fille qu’il avait déjà croisé. Il gardait une certaine amertume à l’égard de leur première rencontre mais elle n’en savait rien. Aussi se décida-t-il immédiatement à sa vue.


… le destin ? Moi, Balmer Silderoy, n’ai pas dit mon dernier mot...


Et il s’enfonça dans l’eau, tout habillé.

Elle n’avait pas encore dit un seul mot qu’elle assistait à cette scène sordide de la part de celui qui semblait sombrer de plus en plus profondément dans la folie en même temps que dans l’eau, dépassant même les rumeurs. Cela la fit hésiter mais elle resta là à attendre qu’il ne remonte car il n’avait pas été comme ça face aux pirates et constituait encore un mince espoir.


Le mage émergea, puis se hissa hors de l’eau en saisissant le bord du ponton. Il laissa le plus gros de l’eau qui gorgeait ses vêtements goutter comme si de rien n’était puis se rassit sans aucune gêne.

Il n’avait rien ressenti, pas entrevu une seule piste. La conscience qui guidait ses pas était aveugle face à la magie qui s’oublie.

Il se tourna alors vers la nouvelle venue.

« Que veux-tu ? interrogea-t-il finalement.

—H- hm, vous êtes un mage, pas vrai ? Je voulais savoir comment on fait.

—Faire quoi ?

—De la magie.

—Je ne sais pas. »

La fille le regarda avec de gros yeux.

« Vous ne faites pas de la magie ? Alors ce que j’ai ressenti lorsque le pirate vous attaquait était autre chose ? »

Balmer la regarda plus en détail, il avait été suffisamment subtil pour ne pas laisser un non-initié remarquer quoi que ce soit.

« Tu as une bonne sensibilité, concéda-t-il, faisant se réjouir quelque peu la mine de son interlocutrice.

—Ca veut dire que vous voulez bien me dire ?

—Non.

—Oh… »

La maigre réjouissance sur le visage de la jeune fille s’évapora aussitôt. Elle n’avait jamais fondé de grands espoirs en cet homme mais elle sentait qu’elle venait de laisser filer une précieuse opportunité. Elle tenta de se rattraper :

« E-En fait, je cherche un travail, c’est le plus important. Est-ce que vous en auriez un pour moi par hasard ? N’importe quoi ; je peux partir ! En fait loin d’ici serait le mieux ! » s’exclama-t-elle avec urgence et inquiétude… mais aussi espoir.

« Le hasard », ce mot grinçait aux oreilles de Balmer. Il s’était décisivement résolu à arpenter l’incompréhension — après tout la magie est insensée — mais il ne voulait pas s’en remettre au hasard. Cette notion était un barrière à ne pas briser pour se garder lui. Se perdre…Il n’était pas prêt à lâcher prise totalement, il n’était pas prêt.


« Je n’ai plus besoin de serviteurs ; la monnaie est la seule qui travaille pour moi. Je m’en irai dans les prochains jours et ne souhaite pas m’encombrer d’une enfant », répondit-il sans émotivité.

Son fils, Parfait, suivait un autre chemin vers la magie qui lui appartenait, aussi Balmer voulait former un disciple qui serait capable de poursuivre la même voie que lui au-delà de ce qu’il n’aura jamais réussi à paver de son vivant, comme son père l’avait fait avec lui auparavant.

Cette fille avait rompu le charme sous lequel il était et avait coupé sa voie vers l’avant. Elle était comme le destin lui rappelant sans cesse qu’il ne pouvait rien accomplir sans lui. Cette impression de ne rien contrôler n’était pas une bonne chose et il ne désirait pas la prendre, elle, sous son aile.


« D… d’accord », lâcha-t-elle avant de soupirer, clairement déçue.

Alors qu’elle s’apprêtait à repartir, elle se retourna vivement une dernière fois.

« Et contre ça ? demanda-t-elle en sortant une bague de sa robe grise, pas des plus richement ornées mais une qui semblait lui tenir à cœur.

—Ca n’est pas assez. »

Ses yeux retournèrent à l’état de leur première rencontre, éteints ; ses lèvres se pincèrent alors qu’elle semblait songer à la suite : une vertigineuse absence de perspective réjouissante que l’on éprouve lorsque plus rien ne brille au loin.

Elle remonta lentement, tête baissée et la frustration ancrée sur son visage.


Balmer aurait pu se sécher mais il ne le fit pas. Le froid saisissait sa peau et l’obligeait à rester dans l’instant présent. Ses longs cheveux blonds qui gouttaient encore largement dans son cou et ses épaules lui rappelaient son échec tandis qu’il observait la jeune fille emprunter le chemin pour remonter au village.



Il ne put réussir à goûter à cette sensation une autre fois les jours suivants. Le lendemain, la jeune fille le recroisa ; elle le cherchait.

« Sire ! Est-ce que ça suffirait cette fois? s’empressa-t-elle de demander en déballant un généreux tas de pièces d’argent.

—Où as-tu eu cet argent ? questionna Balmer.

—J… Je… Je m’suis prostituée », répondit-elle en baissant les yeux.

Balmer regarda dans ses yeux et scruta son expression un court instant.

« Tu n’aurais pas réussi à obtenir autant en une journée, analysa-t-il. Disons que tu aies volé cet argent à quelqu’un, crois-tu que j’accepterais quelque chose comme ça ?

—Je l’ai trouvé par terre, essaya-t-elle de mentir encore une fois mais Balmer secoua la tête. Je vous en supplie, je pourrai faire le ménage, laver le linge et la cuisine.

—Ne vient plus me voir. »


La fille fut abattue par ces mots. Elle avait déjà demandé la même chose à d’autres marchands ou riches personnes. Leurs regards avaient été différents : ils laissaient transparaître la malveillance, parfois même la perversité ou une acceptation trop rapide pour la mettre en confiance. Les personnes seuls avaient l’air encore plus louches. Peut-être aurait-elle finit dans une situation encore pire que celle dans laquelle elle se trouvait, loin de tout ce qu’elle connaissait et sans support.

Le refus de Balmer l’avait paradoxalement rassuré sur son cas et elle avait pris le risque de dérober les économies de son oncle et de sa tante malgré les possibles représailles.

Son corps était déjà couvert de bleus sous sa robe, à quoi bon…


« Je ne peux rien d’autre… , lâcha-t-elle faiblement en reniflant après s’être effondrée au sol.

—Oh vraiment ? retorqua froidement le mage en s’en allant.»


Le soir à la nuit tombée le ciel était dégagé, laissant les étoiles à la vue de tous. Les astrologues disaient que les choses destinées à arriver étaient écrites dans les étoiles. Balmer n’y croyait pas : il pensait que chaque chose, dont les étoiles, était destinée.

Mais ces dernières faisaient resurgir ce mythe chaque nuit… et il les voyait cohabiter avec l’obscurité la plus profonde.

Il avait envisagé brièvement de tuer la fille pour passer à autre chose mais cela aurait été contraire à sa conscience qui le lui aurait alors rappelé chaque jour jusqu’au dernier ; il préférait encore rester mauvais en magie.

Le ciel était capable de faire cohabiter lumières et ténèbres ; voilà une chose dont il était bien incapable et qui était digne de respect.



Le surlendemain Balmer était allé investir la taverne pour le repas du soir. Il n’avait pas utilisé de magie depuis trois jours : une première depuis qu’il avait commencé cette initiation.

Des pirates s’y trouvaient souvent, et à défaut d’être productifs en assuraient l’ambiance. L’un était en train de jouer brillamment du vieux piano situé à l’angle, accompagné d’un joueur de musette pendant que les autres chantaient.

Les villageois qui juraient encore pour la perte de ressources allaient pour certains profiter des festivités amenées par les pirates. Ces derniers faisaient ainsi en partie oublier leurs exactions.


Le mage voyageur profitait du moment et écoutait avec intérêt la prestation endiablée. L’éducation austère qui fut la sienne se complétait en ce moment-même. Celle qui fut de bon conseil pendant de longues années semblait désormais dépassée depuis un temps. Les fragiles conditions de la compréhension voguent au gré de l’ordre et du chaos. Certains stades atteints sont ainsi des conditions nécessaires pour accéder aux suivants. Un bouleversement de cet ordre engendrera une autre voie unique, menant au bout ou non.

Nulle précipitation : il faut être patient. Si l’un forge une telle voie à coups de marteau il devra repasser avec une plume tôt ou tard pour en comprendre les secrets, au risque d’y oublier son âme en bord de chemin.



Draghan poussa la porte de la taverne à ce moment suivit de deux pirates, balayant ensuite la salle du regard.

Il rejoignit les membres de son équipage et arrêta les chants quelques instants pour leur glisser quelques nouvelles à voix basse. Ces derniers semblèrent regretter un peu quelque chose mais acquiescèrent en fin de compte.

Puis, Draghan se tourna vers Balmer qui était à son habitude en marge des événements comme en marge de la pièce et se dirigea en sa direction.

Il saisit une chaise sur son chemin et l’installa à la même table avant de s’assoir de façon peu convenable pour une soirée mondaine de la capitale.

Balmer sourit à ce geste.

« Comment allez-vous capitaine ? dit-il.

—Ma foi, Zandaros ne nous a pas lâché alors nous vivons une journée de plus habillés de nos mœurs, répondit Draghan en ouvrant la main vers les musiciens.

—Chantez-vous vous aussi ?

—Bien sûr, ma voix possède la clarté du jour et la pureté d’une vierge d’après l’gars à qui j’ai pris le bateau. Je pense qu’il voulait dire que je chante aussi bien qu’une sirène, avança-t-il sérieusement mais sans intention de convaincre.

Comme quoi, les hommes de la mer connaissent le raffinement même avant la mort, et ça ça me remplit de fierté messire le mage.

—Balmer Silderoy. Cela fait chaud au cœur en effet d’entendre tant de sincérité, je peux tout à fait imaginer. Quand allez-vous partir ?

—D’ici un jour ou deux pour éviter que des milices ne se ramènent.

—Je vois.

—Dites-moi Sire Silderoy, je suis curieux. Quel vent vous amène dans ce village ? Je ne vois pas de caravane marchande mais vous ai vu au contraire faire de grandes choses telles que rester assis pendant des heures ou marcher dans les rues. C’est que j’aimerais moi aussi pouvoir suivre un train de vie aussi riche.

—Ce village est le village natal de ma mère. C’est aussi ici que j’ai débuté l’apprentissage de la magie. Vous pouvez considérer que j’effectue une sorte de pèlerinage », admit le mage.

Les yeux de Draghan s’écarquillèrent très légèrement alors qu’il fixait l’homme en face de lui dans les yeux.

« Et vous me laissez faire ?

—Cela n’a rien à voir av- »

Balmer s’interrompit subitement sans terminer sa phrase puis soupira.


…Destin, tu gagnes. Tu as mon attention à présent…


Il tourna la tête comme pour regarder au loin. Les plus observateur auraient remarqué qu’il regardait en direction de la maison de la jeune fille qu’il avait éconduite.

« Capitaine, vous m’en voyez navré mais je vais devoir vous laisser. Puisse Zandaros vous accompagner encore longtemps, dit-il en se levant.

—Oh vous partez déjà, nous n’avons pas encore eu l’occasion de jouer aux cartes, regretta le pirate. Une dernière chose si vous permettez avant de partir : entre vous et moi, que ce serait-il passé si nous avions attaqué la première fois ? » demanda-t-il en baissant la voix.

Balmer sourit en réponse puis répondit calmement:

« Vous auriez perdu la moitié de vos hommes avant de pouvoir me tuer. »


Une fois seulement qu’il fut sorti de la taverne, Draghan, resté sur place, qui contemplait le choix des mots de son interlocuteur, eut un rictus lui étirant la commissure de se lèvres.

« Quelle réponse captieuse ! Il nous aurait tous massacré oui… », lâcha-t-il tout bas.

Balmer, quant à lui, se dirigeait à travers les rues du village. Il s’engouffra entre deux bâtisses et, alors que personne ne pouvait le voir, son corps entier devint progressivement ombre, des extrémités jusqu’au cœur. Il ne réapparut jamais à la sortie de la ruelle.


Sous cette forme intangible, il se glissa à l’insu de tous, fuyant le soleil qui plongeait dans l’horizon et projetait les ombres au loin.

Il arriva à hauteur de sa destination : une modeste demeure, comme toutes celles des environs. La terrasse jouxtant la longueur de la maison était déserte et rien de spécial ne se voyait par les fenêtres dont les rideaux tirés obstruaient la vue donnant sur la pièce à vivre. La porte en bois dans la largeur de la maison était fermée, mais Balmer s’y introduit sans aucune difficulté par un mince interstice.


Il avait développé avec les années une sensibilité sans pareil au sang et n’était donc pas surpris de ce qu’il vit à l’intérieur.

Le corps d’un homme qu’il n’avait, semble-t-il, jamais vu gisait au sol. Une profonde entaille présente au niveau de son cou indiquait qu’il avait dû subir une attaque au couteau par surprise alors qu’il venait de passer par le perron de la porte. Les traces laissées au sol, quant à elles, supposaient qu’il avait cherché à saisir un quelconque objet pour se défendre dans la détresse. Il avait avancé de quelques pas mais avait fini par se faire transpercer le tronc à de multiples reprises, peut-être une fois qu’il se soit déjà effondré.

La fille était en bon état, recroquevillée le long d’un mur, sanglotant avec un couteau taché de sang à côté d’elle. Quelques taches pouvaient être aperçus sur le bas de sa robe. Elle ne put voir l’intru.


Plus loin dans une chambre, une femme s’était faite égorgée, surement dans son sommeil. Le sang imbibait le matelas. L’acte semblait plus ancien.


« Quel gâchis, soupira une voix venant d’un peu partout. »


La fille réagit instinctivement en inspirant une bouffée d’air nauséabond.  Elle releva vivement la tête au même moment ; ses yeux écarquillés et en proie à l’angoisse portaient encore les traces de chaudes larmes. La meurtrière se remit ensuite sur ses pieds, dos au mur, les mains écartées comme pour s’appuyer sur ce dernier.


« Qui est là ? » demanda-t-elle fébrilement.

Balmer se matérialisa à côté du corps dans le salon mais ne dit rien.

L’adolescente écarquilla les yeux mais ne put croire à ce qu’elle voyait. Que faisait-il là ? Elle n’était pas prête et chercha ses mots qu’elle assembla rapidement.


« C’est les pirates, ils les ont tués car ils ne voulaient pas leur donner ! » s’empressa-t-elle de raconter, comme par récitation d’une poésie bien apprise. Cependant, elle s’était déjà rendu compte, mais après avoir commis le crime seulement, de la faiblesse de cet justification et cela se ressentait dans sa voix.

Qu’allait-elle devenir ?

« Petite sotte. Il te suffisait d’attendre..., eut Balmer comme réponse, provoquant un petit blanc temporaire.

—Attendre ?! s’énerva la fille qui voyait rouge à présent après avoir écouté cet étranger lui faire la morale. Attendre quoi ? J’ai demandé de l’aide à plusieurs personnes et n’ai obtenu qu’un peu de compassion au mieux… même les pirates m’ont refusée hier ! Vous n’avez aucune idée de ce que c’est que de vivre comme ça ! Ils me battaient tous les jours et m’ont battue encore plus lorsque certains sont venus leur parlé pour essayer de m’adopter. Ce sont des monstres, cracha-t-elle, excédée, comme si elle s’était répété ces mots de nombreuses fois mais ne put que maintenant  enfin les exprimer.


Attendre quoi ? Je ne sais faire que le ménage, nettoyer le linge et même pas bien la cuisine. Mais personne n’aurait besoin de ça ici, même quand je serai adulte. Ils le font tous eux-mêmes.

On ne me laisse pas sortir ni apprendre quoi que ce soit… Qu’est-ce que je pourrais bien faire ? J’EN AI ASSEZ ! déballa-t-elle d’une traite malgré les sanglots avant de reprendre sa respiration et de fixer Balmer dans les yeux.


Le mage le regarda fixement en retour, impassible.

Attendre… comment aurait-elle pu comprendre ce qu’il signifiait avec son jeune âge. 



…Très bien, c’est moi le sot…


« Comment t’appelles-tu ? lui demanda-t-il en retour, impassible.

—Elerína »

Elle était fière de son prénom, aussi le répondit-elle rapidement.


Il souffla du nez et eut envie de rouler des yeux à la réponse. Il se posa un instant, pour se demander si tout cela était véritablement déjà écrit ou simplement une grossière farce.


« « Couronné(e) par les étoiles » en elfique… pourquoi des parents agissant de la sorte t’auraient nommés ainsi ?

—Ce sont mes oncle et tante, commença-t-elle sèchement en tentant toujours de s’expliquer. Mes parents ont été sauvés par une guérisseuse elfe avant de m’avoir et m’ont donné le même nom, ils me l’ont dit avant qu’ils n...ne… », finit-elle, encore sous la colère.


Un long sanglot étrangla les mots dans sa gorge.


Pendant ce temps, il s’abaissa pour tremper ses doigts dans la flaque de sang puis les porta à sa bouche pour le goûter sous le regard incrédule de l‘observatrice. Une fine mais longue aiguille se forma ensuite à partir de la flaque et serpenta dans la pièce. Elle piqua la nuque d’Elerína, la faisant légèrement saigner. Elle ne s’en rendit même pas compte ou crut à un moustique se posant sur sa peau.

La goutte qui s’en extirpait vola en direction du mage qui la compara avec le sang de l’oncle. Il put ainsi confirmer les propos.


L’adolescente ne connaissait pas grand-chose à la magie mais elle sentait bien que ce genre de magie n’était pas répandu, voire peu recommandable. A ce titre, elle fut profondément mal à l’aise et son anxiété refit surface alors qu’elle pensa à son avenir.


Les doigts de Balmer trempaient toujours dans le liquide au sol. Petit à petit, la flaque pouvait être aperçue se replier et rétrécir.

Puis, le mage se redressa, tenant entre les doigts ce qui ressemblait à une sorte de perle. De larges faisceaux de sang remontaient du sol pour venir s’agréger tout autour de cette celle qu’on aurait dit rayonner tel le soleil, la chaleur en moins.

La fille sentait un courant qu’elle n’identifiait pas traverser chacun des pores de sa peau et lui glacer le sang. Elle qui avait passé de longues minutes entouré de cette scène gore n’avait pas été forcée de la regarder attentivement. Ce spectacle, quant à lui, était trop dérangeant à ses yeux pour qu’elle puisse s’en détourner.

Celle qui paniquait de nouveau s’imaginait déjà être le prochain sujet d’expériences macabres.


« Que faites-vous ?! » demanda-t-elle, suspicieuse, pour en avoir le cœur net.


Elle avait envie de crier mais savait qu’elle ne devait pas sous peine d’alerter du monde. Sortir ? Maintenant et dans son état, ce n’était pas la peine.


« Patiente. Tu verras bien assez tôt », entendit-elle alors.


Elle patienta sous la contrainte de la situation, et si elle ne savait toujours pas ce que réalisait le mage devant-elle, elle eut au moins réalisé qu’il n’avait certainement pas besoin de la faire attendre pour la tuer. Cela eut pour effet de la rassuré légèrement dans l’immédiat.


Une fois la perle pleinement formée, il alla dans la chambre ou reposait le corps de la tante et en fit de même. Elerína le suivit, l’observant alors former une seconde gemme à la forme différente cette fois-ci.

Une fois le travail terminé, il plaça le tout dans une sacoche et retourna dans le salon.


« Si tu disparais, ils croiront plus volontiers aux pirates », conseilla-t-il sans préambule.

Ce qui se voulait être un élan de bienveillance fut interprété tout autrement. Elerína se précipita vers la porte de toutes ses forces dans l’espoir de s’échapper. Les autres considérations avaient été instantanément reléguées au second plan.

Lorsqu’elle ouvrit violemment la porte et la franchit, sa robe tachée à la vue d’hypothétiques passants, elle remarqua que le mage ne l’avait pas poursuivie le moins du monde. Et elle hésita encore une fois, refermant la porte presque complètement devant elle.

 

Balmer avait choisi ses mots et ses actions sciemment. Aussi observait-il attentivement les choix de la jeune fille.

Lorsque celle-ci se retourna vers lui, il soupira.


« C’était un conseil », expliqua-t-il finalement.


Elerína fut soulagé encore une fois. Ses émotions fluctuant grandement, ses raisonnements en étaient visiblement affectés d’un œil externe.

Elle reprit son souffle et ainsi que quelques temps pour réfléchir et se calmer, toujours dans l’entrebâillement de la porte.


Elle tourna ensuite son visage vers Balmer qui était resté là sans dire un mot. Son avenir était plus que jamais compromis. Elle pensa brièvement au conseil du mage et ne pouvait qu’être d’accord.

Cependant, comment survivre seule, après avoir tué deux personnes, sur des chemins qui n’étaient pas toujours sûrs. Elle avait paniqué et avait tué ceux qui représentaient sa stabilité. Elle regrettait mais ne pouvait pas revenir en arrière. Elle s’accrocha alors encore à cette infime chance même si elle désespérait complètement au fond d’elle et demanda encore une fois :


—Vous n’allez vraiment pas m’aider ? demanda-t-elle finalement dans une dernière lueur d’espoir, perdue au milieu de la nuit qui tombait.


Balmer ne répondit pas tout de suite mais la fixait, le visage inémotif. Il semblait songer à sa réponse.

—Je vais quitter le village et rentrer. Au revoir… Elerína. J’espère pour toi que tu marcheras assez vite pour t’en sortir, déclara-t-il en retour pendant que ses mains commençaient à revêtir un manteau d’ombre une nouvelle fois.

—Huh ? »


Elerína eut du mal à percuter l’implication. Mais elle courut finalement préparer quelques affaires. Un large sourire étirait ses lèvres dès lors.



Balmer avait fait un crochet à l’auberge pour reprendre ses quelques affaires. Il se dirigeait maintenant vers la sortie Est du village. Elle l’y attendait déjà, encore un peu essoufflée. Il la dépassa et continua le long de la route sans marquer la moindre pose. Elle fut surprise mais rattrapa son retard pour retourner à sa hauteur.


Ils marchèrent un certain temps, mais elle n’osa pas parler et encore moins se plaindre.


« Elerína. Je vais tenter de te montrer », dit-il subitement.

Il leva sa main en l’air et les étoiles qui brillaient il y a un instant s’estompèrent pour mourir progressivement.

Sa nouvelle apprentie leva alors la tête pour observer avec attention. Elle trébucha plusieurs fois et commença à ne plus savoir où aller. Son sens de l’équilibre amoindri la fit tomber alors qu’elle commençait à se demander s’il ne l’abandonnait pas.


Elle entendit soudain, juste à côté d’elle sa voix.

« Je ne peux, pour le moment, que peindre la nuit en noire. Mais sache que la magie noire est prohibée, tandis que la magie blanche est révérée. Nul ne peut faire les deux — cela n’aurait aucun sens —car elles semblent contradictoires. Seuls les dieux connaissent peut-être la vérité.

Une fois seulement que j’aurais réussi à percer ce mystère : à faire des étoiles mon encre sur le papier d’éther et à ne plus seulement lire ce qui y est écrit, alors pourrais-je peut-être répondre à la première question que tu m’as posée : comment fait-on de la magie ?


Ne me demande plus à l’avenir, cherche, ma disciple. »

Elerína

Elerína

Aucune faction connue

Draghan

Draghan

Equipage de la Daurade Fugace

Balmer Silderoy

Balmer Silderoy

Oeil de Donblas

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