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La Luciole

La LucioleTexte de Ràlas
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Texte de Ràlas

La Luciole 


Elle déambulait inlassablement dans les ruelles, sans se soucier des autres passants. Elle fixait le sol sans jamais se fatiguer, en se faufilant dans la foule, comme un réflexe. Même pas adolescente et déjà habituée à la rue. Avait-elle seulement connu autre chose ? Elle cherchait quelque chose, et rien d’autre n’importait. Le monde autour d’elle n’existait pas, et elle n’existait pas pour le monde autour d’elle. C’était le lot des êtres comme elle.


Ceux qui restaient n’avaient plus qu’une obsession. On ne se cache pas de Vanilius pour rien. Le grand manteau de la mort emmène les âmes à leur dernière demeure, mais certaines ne voulaient pas quitter ce monde, quelque chose les retient. Des doutes, des peurs, des questions. Cela faisait de nombreuses années qu’il les voyait maintenant, qu’il avait appris à les connaître, à les apprécier.


Il était un marginal lui aussi, un elfe au milieu des humains. Les tatouages sur son crâne à demi rasé n’aidaient pas non plus à attirer la sympathie, pas plus que ses haillons, vestiges de ses vieux vêtements elfiques. Mais ce qui dérangeait surtout les gens, c’était qu’il voyait ce qu’eux ne voyaient pas. Alors il fixait parfois le vide à côté d’eux, ou il parlait seul. Cela les mettait mal à l’aise bien plus que tout le reste. L’elfe, pourtant, ne s’en préoccupait pas. En ça, il se sentait proche de ces âmes, il ne s'intéressait plus au monde qui l’entourait.


Et maintenant, il fallait bien s’occuper de cette petite. Il l’avait observé répéter son rituel encore et encore. Les âmes errantes avaient souvent un rituel bien précis. Une boucle dans laquelle ils étaient enfermés et dont il était difficile de les sortir. Peu d’âme se souciait encore de leur environnement, il n’était même pas rare que des âmes se croisent chaque jour sans même en avoir conscience. Pour elle, c’était la recherche d’un objet perdu. Quelque chose qu’on lui avait dit de garder, qu’elle avait perdu. Elle s’était mise en tête que c’était important. Suffisamment important pour se cacher du voile de la nuit.


Il n’était pas prêtre, et il doutait que le prêtre apprécie son existence. Il avait offensé les dieux et les mortels pour s'octroyer le droit de voir ceux que les autres ne voyaient pas. Il était comme eux, un mort en suspens refusant de quitter ce monde. Cela faisait longtemps qu’il se sentait plus proche d’eux que des vivants. Et plus il sombrait dans la mort, moins Danava veillait sur lui.


C’est alors qu’une étrange sensation lui serra la poitrine. L’air se fit comme plus épais, il eut presque l’impression de pouvoir le toucher des doigts, un instant. Un cri. Elle criait. Il savait reconnaître le cri d’une âme. Elle n’était pas censée crier. Il se redressa et se rua au travers de la foule comme si elle n’existait pas, bousculant au passage quelques passants. Son corps semblait lourd, l’air semblait vouloir freiner sa course. Il connaissait cette sensation. Ce n’était même plus de la magie noire, c’était plus sombre que ça. 


Une forme obscure faisait face à l'enfant. Personne ne réagissait. C’était lui aussi un esprit. Mais un esprit maléfique, c’est lui qui alourdissait l’air. 


Sa lame n’était pas faite pour combattre les esprits et sa magie était trop dangereuse en ville. Il dégaina alors sa dague, sans se soucier du regard des passants, et s’entailla la paume de sa main. 


Son pouvoir ne devait jamais servir à manipuler, mais c’était une situation d’urgence. Alors que son sang coulait le long de ses doigts, il vint le corrompre de son art vicié afin de forcer l’âme défunte à s'écarter de la créature et à se rapprocher de lui. Juste pour la protéger et la sortir de sa léthargie. Rien d’autre. Il n’avait pas le droit de manipuler les âmes. 


“Suis-moi !“


Ce n’était pas un ordre, sa magie avait déjà pris fin. La créature d’ombre le fixait désormais. Il avait compris. L’âme, perdue et apeurée, avait pris sa suite alors qu’il se faufilait dans la foule sous le regard hébété des passants qui ne voyait qu’un fou au milieu de la ville. Cette ville, il fallait la quitter. Il pourrait alors user de sa magie sans retenue.


Heureusement, il connaissait bien la ville, il n’eut alors aucun mal à se diriger vers les abords de celle-ci pour rejoindre la plaine environnante. Il s'éloigna un peu plus et s'arrêta avant d’observer la jeune âme qui l’avait suivi et qui l’observait avec incompréhension.


“Reste là, je vais m’occuper de toi. Une fois que tu seras en sécurité, je t'aiderai à chercher“


Il lui offrit alors un sourire comme on en voyait rarement sur son visage : rassurant et bienveillant. Il se reconcentra rapidement sur les alentours, cherchant à voir si la créature les avait suivis. Qu’était-elle exactement d’ailleurs ? Cela semblait aller au-delà de la simple corruption. Un démon ? Il n’avait jamais entendu parler d’esprit-démon jusqu’à présent.


Alors que l’air semblait s'épaissir à nouveau, il dégaina sa lame et commença à murmurer quelques mots elfiques qu’il connaissait par cœur. Cela avait été une habitude pour lui, à tel point qu’il l’avait fait sans même y penser vraiment. Pourtant, cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas usé et il sentit alors comme une forme de libération. L’air, alors pénible à respirer, se fit soudainement léger et ses poumons s’emplirent aisément. Sa lame fut alors recouverte d’une fine couche de vent au mouvement vif et fluide dont le sifflement caractéristique lui rappelait ses années à servir l’armée de Cirel. Mais à Ciel, l’air était frais, ici, c’était différent. Le sang qui s'écoulait toujours de sa paume gauche avait vicié cet air de son odeur rance et néfaste. L’air était putride, comme si une charogne avait traîné dans les environs depuis quelques jours.


Quelque chose dans son regard changea alors, ses muscles se tendirent, comme s’ils se souvenaient soudainement de comment se battre. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas dû réellement combattre.


"Écarte toi, il arrive…”


Alors qu’il tourna la tête, il se rendit compte qu’elle était déjà partie. Il fronça les sourcils, ce n’était pas le comportement habituel d’une âme. Il lui sembla entendre un cliquetis régulier au loin, mais il n’eut pas le temps de s’y attarder, l’air se faisait de plus en plus lourd, il approchait.


La bête se rua sur lui. Il se jeta sur le côté, effectuant une roulade et se réceptionnant sur sa jambe droite avant de redresser et de frapper en direction de la bête. Alors que sa lame traversait l’esprit sans l'affecter, la fine couche d’air se brisa pour se transformer en une multitude de fines lames acérées. Associée à la magie des âmes, ces lames tranchèrent dans l’esprit qui hurla de toutes ses forces comme seul un esprit savait le faire.

Un son d’outre-tombe qui figeait l’âme de quiconque l’entendait, et il ne l’entendait que trop bien. Une peur incompréhensible s'immisça en lui. Ce cri n’était définitivement pas que le cri d’une âme, c’était le cri d’un monstre. Il eut l’impression de sentir la moindre parcelle de son corps, une sensation de froid qui le pénétra jusqu'à la moelle.


Il n’eut pas le temps de réagir alors que la bête commençait à se jeter sur lui. Il devait bouger. Si elle ne pouvait pas le blesser physiquement, l’infamie planterait probablement ses crocs directement dans son âme. 


Il devait bouger.


À nouveau, un cliquetis.


Une lumière rougeâtre émana alors de derrière la bête. La peur qui l’avait envahi se démultiplia. L’odeur de charogne se fit alors encore plus présente, au point que le goût de cette viande putride lui vint à la bouche, manquant de lui faire recracher ses trippes. Son corps céda sous le poids de cette peur et il tomba à genoux, incapable. Il se rendit alors compte que la créature ne l’attaquait plus, elle n’était plus là. Son cri de rage avait rugi avant qu’elle ne s'éloigne et disparaisse.


Tout se mélangeait dans son esprit. Il n’avait jamais ressenti une telle angoisse, ou pas depuis de longues années. Alors qu’il tâchait de se ressaisir, il remarqua une jeune femme couverte de haillons, remettant une lanterne rougeâtre à sa ceinture. Et l’âme était là, saine et sauve, derrière cette jeune femme. Cette dernière n’avait rien d’un être vivant. Son teint d’hermine ne laissait aucun doute, ni l’apparence de sa peau, ni même ses cheveux secs et grisâtres. Qui était-elle ? Et comme si elle avait pu lire la question dans ses pensées, ou sur son visage, elle répondit d’une voix monocorde et sans âme.


“Je suis la Luciole. Le guide des âmes de celles et ceux qui n’ont pas vécu. La gardienne des enfants perdus.”


Elle fit une pause et observa la jeune âme errante, avant de reposer son regard sur l’elfe.


“Puisque tu voulais la sauver, je t’ai sauvé. Elle l’a demandé. Mais ne te mets plus sur la route d’un Mange-Mort, tu n’es pas de taille.”


Alors qu’elle se tourna pour s'éloigner avec la jeune âme, l’elfe tenta de se redresser. La nécromancie qu’elle avait utilisée dépassait de loin ce qu'il n'avait jamais été capable d’imaginer faire. Elle était en danger à proximité d’un nécromancien si puissant et si corrompu. Mais ses muscles refusèrent de bouger, ses lèvres tremblantes refusèrent de s’ouvrir, sa gorge resta nouée.


Bientôt, il était trop tard. Elles avaient disparu. Il était seul. Seul, au milieu de rien.


Il n’avait pas su la protéger.


Luciole

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Talion

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