top of page

Le Cœur des Thaumaturges

Texte de Kelora

[Rehnya – 1243 – Paiement de Spy]

 

Tedeus avait bâti ce monde pour protéger notre cœur. Il n’était pas homme à montrer ses émotions. Avait-il seulement versé une larme, tandis que son âme se déchirait, à la mort d’Adèle ? J’avais été incapable de les réfréner. Il était la glace de mon feu brûlant, la montagne qui me protégeait des tempêtes. La seule source de lumière dans les ténèbres de ma corruption. Chaque jour qui passait et où je devenais un peu plus maléfique, ma moitié demeurait droite.


Ici, pourtant, je sentais les fractures qu’il dissimulait sous ses sourires et sa fierté. Il avait créé la prison pour nous protéger d’Yseult ainsi que le monde. C’était un gigantesque manoir dans lequel nous envoyions nos opposants ; il n’était pas un barbare et sa cruauté s’entourait de soie. Mais ce monde était bien différent, il était l’abri pour notre cœur. 


Les barrières de protection étaient des cotes que je pouvais enjamber. En glissant mes doigts sur l’une d’entre elle, la surface lisse de l’os vibra. Elle reconnut mon sang, mon identité et me laissa passer. Au loin, un râle fit remonter le long de mon échine une peur primitive que des années de malédictions n’étaient pas parvenus à émousser. 


De là, j’avançais jusqu’au cœur ; notre plus précieux bien. Ma plus grande œuvre. Mon énergie convergea jusqu’à elle avant de s’éclater aux quatre coins du monde, atteignant chaque ancre. Les yeux clos, je me laissais porter. Son fonctionnement était parfait, désormais, depuis un an, l’empathe faisait battre le cœur. 


Nous autres, mages, étions incapables de le faire battre. Les mortels ne faisaient que prendre, sans jamais restituer. Seuls les empathes avaient une magie aux propriétés capables de créer un tel circuit. Bien sûr, je m’étais liée à Tedeus, et nous partagions bien davantage que le même sang et le même amour. Pour autant, aucun mage était capable à ce point de se vider de sa propre essence pour les autres. Je sentis Livia et me laissais porter jusqu’à elle.

 

Elle se trouvait encore une fois à donner des cours ; en recevait-elle seulement ? La présence de l’empathe parmi les nôtres me permit de ressentir l’excitation qui parcourait ses veines. Elle m’arracha un sourire, comme à chaque fois que je pensais ne plus jamais en être capable. Donner des cours l’emplissait d’une fierté qu’elle devait à son père.


Mon esprit divaguait de membres en membres, croisant Lucinda et une rare colère. Face à elle, son amie l’invectivait pour la confiance qu’elle avait envers Tedeus. Elle distillait en l’empathe les graines de la méfiance qui ne devaient jamais laisser place à la suspicion. Ce serait une affaire plus tardive, les élucubrations d’une non-mage ne devaient pas briser ce que nous bâtissions. 


Bientôt, l’Assemblée ne serait plus suffisante pour nous contenir, en seulement un an nous étions parvenus à réunir plus de membres que je ne l’aurais rêvé. Nous allions conquérir Harroka, Minghelle et bien d’autres lieux. Quelque chose que l’Assemblée n’était pas capable de faire. Je les avais bien servis, depuis le décret sur la magie noire.


« Rehnya ? »


Je manquais de sursauter, dans l’un des rares lieux où je pouvais baisser ma garde, il devenait aisé de me surprendre. Tedeus s’avançait vers moi, ses prunelles vertes oscillaient de moi au cœur et il se fendit d’un sourire qui fit battre le mien.


« Baisserais-tu ta garde, ma douce ? » 

 

Je réprimais un sourire et me détournait du cœur avant de me réchauffer auprès de son humanité. Sa chaleur m’entoura lorsqu’il m’enlaça, sa main sous mon menton, il cueillit mes lèvres et je goûtais l’ambroisie des siennes. C’est presque essoufflée que je me détournais de lui.


« Alors ?, murmurai-je.

— Je suis parvenu à entrer, mais l’un des Huit m’a senti. 

— Lequel ?

— Tezca.

— Un moindre mal. Qu’as-tu découvert ? »


Il fit quelques pas dans ce monde, son visage ne laissait rien transparaître de ses émotions, mais j’avais appris à lire en lui avec les années. Il n’était qu’un livre ouvert, désormais, pour moi. Quelque chose obscurcissait ses traits, de si subtile qu’il ne résidait qu’en une fossette creusée sur sa joue. 


« Le huitième est disparu. Ils ne sont plus que sept à la tête du Concile. Ne sois pas trop peinée, Colotl est encore bel et bien là, tu auras tout le loisir que tu veux pour la détruire, le moment venu. Le huitième était, semblerait-il, en désaccord avec leur dernier amendement. Alors ils l’ont fait disparaître.

— Ils en sont incapables.

— Allons, ils ne l’ont pas tué. Ils ne seraient pas si cruels, ma douce. Ils se sont contentés de l’enterrer au beau milieu d’une île pour une éternité de souffrance. Car c’est cela, être bon, selon eux. » Le sarcasme de Tedeus m’amusa, bien qu’il me semblât prêt à tuer quelqu’un. « Il serait trop mage noir de tuer.

— Ne sois pas si mesquin. Il fait partie du sort.

— Pour sûr, je l’ai déterré et ramené aux siens. Te reste-t-il des sphères de souvenir ? Nous devrions les protéger, avant qu’ils ne se chargent de nous le faire oublier.

— Je les ai laissées à la bibliothèque. Peux-tu m’en parler ou cela fait-il partie de leur sort ? 

— Non, ça n’en fait pas partie. Ils vont lancer un sort du même acabit, mais ce ne sera pas le même. Simplement de quoi rayer de l’esprit du monde le nom des Trencavel, je doute qu’ils en maudissent rien que l’évocation. Je doute même qu’ils soient capables de tenir deux sorts de cette envergure, rien qu’ils eussent été capable d’un est… Comment dirais-je ? Révélateur du pouvoir qu’ils ont pu convoyer avant de nous l’arracher.

— Bientôt le Cœur nous permettra de briser l’un de leurs maillons. Rassure-toi.

— Si Lucinda est assez puissante pour le supporter. Elle veut te rencontrer, d’ailleurs. » Un frisson de plaisir remonta le long de mon échine, je serais ravie de la rencontrer, mais je n’avais pas le même contrôle sur mes émotions que Tedeus. « Je devrais tuer sa garde du corps.

— Et Jill ?

— Leur envie de maîtriser ce qu’elles sont est bien supérieure au reste. » Lorsque nous avions entendu parler de cette empathe dans les griffes des Sgurzs, nous étions certains de pouvoir la rallier. Il avait fallu que la guerre éclate par-delà le mur pour qu’elle nous échappe. Mais désormais, nous l’avions retrouvée. « Les questions de Lucinda sont légitimes. Après tout, elle se rend bien compte du pouvoir que nous pouvons faire véhiculer, peut-être même a-t-elle des doutes à cause de Lucy.

— Elle n’est pas capable de reconnaître de la magie noire.

— N’importe qui sentirait que ça n’a rien de sain.

— Eh bien, convainc-la que ce n’est rien. C’est bien ton utilité principale, non ? » J’eus envie de l’étrangler en l’observant me sourire avec son espèce de pitié. Je me détournais de lui. « Je veux connaître le secret des ébènes, Tedeus. Je veux que Sélène et que toute son Assemblée meurent. Fais ce qui doit être fait, ou c’est moi qui m’en chargerai.

— Ce ne sont que des enfants.

— Des enfants ? » J’en revint à lui, un sourire déplaisant aux lèvres. « S’il fallait leur faire tomber leurs jolies têtes vides pour obtenir le secret des ébènes… » Mon sang ne fit qu’un tour alors que l’énergie ténébreuse s’apprêtait à cette éventualité.  « Si tu en es incapable, c’est moi qui la leur ferais exploser. »

Tedeus Yrcin Fossecrelle

Tedeus Yrcin Fossecrelle

Thaumaturges

Rehnya Fossecrelle

Rehnya Fossecrelle

Thaumaturges

  • Logo-forumactif.png
  • Logo_Discord_2015
bottom of page