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Phase croissante
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Nerf Optique
Texte de Meln
Ploc…. Ploc… Ploc…
Comme un bruit lointain… Une sensation… Un appel…
Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti cela.
Ses paupières laissèrent place aux dorures diaprées de ses iris, et il interrompit sa méditation. Ses yeux se perdirent alors de longs instants dans le silence de la pièce avant que les traits de son visage ne se renfrognent très légèrement, réalisant peu à peu les implications de ce qu’il venait de ressentir.
Il décolla d’abord son dos du dossier qui l’accueillait, se servant de cet élan pour se redresser aisément, puis s’élança d’une allure digne mais impérieuse pour quitter la pièce. Ses pas foulèrent ensuite le marbre d’un long couloir de la résidence dans lequel il croisa une jeune servante faisant le ménage. Les cheveux de cette dernière, noirs comme la suie, tombaient droitement dans son dos et rappelaient son élégant maintien.
« Messire, salua-t-elle en inclinant la tête poliment, les deux mains jointes au niveau des cuisses en le voyant.
—Bien le bonjour Prudence. Je serai absent aujourd’hui. Vous pourrez vous tourner vers Léonard pour toute demande, répondit-il d’un ton placide mais courtois.
—Entendu », acquiesça-t-elle en hochant la tête une nouvelle fois.
Il continua sa route, s’étant tout juste arrêté, pour emprunter cette fois des escaliers plongeant dans les profondeurs de la capitale.
Il marcha de longues minutes ; rien ne semblait perturber son train. En chemin cependant, le pouvoir s’était déjà déchaîné en de multiples variations autour de lui, brouillant par instants sa figure ; quiconque aurait souhaité suivre ses pas n’aurait possiblement pas survécu la traversée.
Il murmurait à lui-même tout du long des mots que l’on devinait pressants, des incantations abstruses en un langage depuis longtemps oublié. Leurs sens se jouaient des pièges de la syntaxe à mesure que la magie déjouait les tromperies des runes jonchant les murs, édictant ainsi un laissez-passer en ces lieux gardés.
Le marbre avait laissé progressivement la place à une roche grise taillée en escalier à même la nature du sol. Ce passage semblait dater de bien avant la construction du conduit menant jusqu’ici et n’avoir été raccordé que récemment. Les runes étaient maintenant remplacées par des noms gravés sur les murs, laissant l’impression de voyager dans le passé. « Aurel Nuric 739 » … « Cérin Hyerre 435 »… « Tulfar Lowny 2104 »… Les noms se succédaient ; impossible de savoir lequel avait été le premier.
Aucune magie n’était plus possible ici : une abjuration puissante pesait dans l’air. Mais cela avait troublé l’homme: les pierres semblaient pourtant comme enchantées, indestructibles lorsqu’il avait tenté de graver son nom à son tour par le passé, ou pas tout à fait. Le burin s’était, certes, montré inefficace pour commencer : aux premiers coups donnés, il avait abandonné l’idée d’y graver son nom pour le moment, constatant la dureté de la roche. Mais l’enjeu était dès ce moment devenu plus grand : la briser pour pouvoir en étudier les propriétés. La vanité n’avait pas sa place, il abhorrait perdre son temps, son énergie, comme ses pensées d’ailleurs. Il avait passé quatre jours et rendu inutilisable une bonne dizaine de pioches pour détacher un minuscule éclat de roche du mur. Ses poignets et ses bras s’en souvenaient encore.
Ces personnes gravées dans l’histoire avaient-elles passé toute leur vie et celles de leur famille pour graver un seul nom ? Il n’y croyait pas un seul instant et avait plutôt porté son attention comme il l’avait pu sur l’étude de ce petit fragment qu’il conservait encore à ce jour.
En bas des escaliers se dressait une porte ogivale en bois à double battants, très simple dans la conception, et donnant presque l’impression de n’être que deux morceaux de bois grossièrement taillés et placés là. Elle possédait les mêmes propriétés que les pierres grises, confortant l’idée que tout cela n’était pas naturel.
Un nom trônait au-dessus de cette dernière dans un alphabet bien éloigné de celui employé durant les Temps-communs et dont les sonorités s’étaient perdues :
Les traits, bien plus nets et soignés que les autres, véhiculaient une aura de grandeur sereine.
Après une courte analyse, il était ressorti que les flux de mana convergeaient particulièrement derrière la porte, en faisant un endroit propice au repos mais également un lieu idéalement placé pour établir des systèmes reposant sur la magie.
L’homme entrouvrit la porte simplement, passa au travers avant de la refermer. Il avait l’habitude et elle n’avait jamais comporté aucun mécanisme, du moins d’aussi longtemps qu’il n’en ait eu connaissance.
Ploc…
A l’intérieur, une unique salle carrée, relativement spacieuse et sans aménagement. L’œil n’avait cependant pas le temps de se poser sur un quelconque vide : une petite bassine ronde et sculptée était en position centrale, posée à même le sol, saturant la pièce de sa présence, donnant presque l’impression que l’endroit fut trop exigu pour la contenir. Celle-ci était remplie à ras-bord de ce que l’on devinait aisément être du sang — l’odeur aidait certainement.
Ploc…
Le plus notable, cependant, et ce qui en faisait la spécificité, étaient les innombrables filaments sanguins irradiant depuis celle-ci vers l’intégralité de la salle. L’œil était alors instantanément attiré par ce spectacle fascinant.
Aux murs, de nombreuses écritures tracées en lettres rouge sang étaient reliées au réservoir par ces longs et fins vaisseaux sanguins qui empruntaient un chemin leur étant propre. Le tracé était conçu tel que les vaisseaux empruntaient des points précis de l’espace pour suivre des flux d’énergies naturelles sans se dépléter.
Les écritures agissaient alors comme des repères pour chaque filament rouge qui venait alors raviver leurs couleurs perpétuellement, s’entretenant ainsi d’elles-mêmes. Ceux-ci redescendaient ensuite en une sorte de boucle vers la bassine.
Ploc…
De petits cristaux étaient surélevés à différents endroits de la salle et dont le rôle était visiblement de corriger les trajectoires minutieusement choisies de ces circuits. Les inscriptions sur ceux-ci étaient très petites et d’une précision remarquable qu’il aurait été difficile d’avoir avec une plume.
Le tout formait un bijoux délicat d’ingénierie, mimant par endroits les merveilles de la nature, tranchant clairement, à d'autres, dans certains choix d’innovations artificielles.
Ploc…
Il prenait à chaque fois le temps de contempler ce chef-d’œuvre sobrement nommé « nerf ». Son père l’avait réalisé comme une assurance pour l’avenir. Ce n’était pas vraiment de l’hématomancie : cette dernière n’était que statique dans ses propriétés intrinsèques ou dans l’interprétation manuelle des informations. Ce système ne consommait en réalité que très peu d’énergie ténébreuse. Le mana était la principale source de mouvement ici et cela n’aurait pas été possible ailleurs que dans cette chambre spécifique qui en avait donné la possibilité.
Chaque écriture aux murs était composée d’une trace ainsi que de nombreuses injonctions ésotériques aux énergies autour de celle-ci. Elle correspondait à un membre important de l’Œil, au contact d’informations sensibles ou dont la compétence avait été reconnue comme suffisamment grande pour assurer la stabilité de l’entreprise.
Ploc…
Quelques gouttes s’écrasaient sporadiquement au sol depuis la bassine et résonnaient dans ce silence pesant. Il fixa ces dernières, puis scruta les murs à la recherche d’écritures foncées par l’oxydation.
Elles étaient là, sur le mur du fond. Il traversa la pièce précautionneusement ; il osait à peine être, sous peine de dérégler la machinerie.
Lorsqu’il atteint sa destination il chanta quelques incantations, touchant les écritures du bout de ses doigts fins et longs, tout comme ses ongles soignés. Les informations lui parvinrent sur l’origine de cette trace et il mémorisa ses spécificités, un nom lui revint en tête. Le lien avait été rompu et cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : ce marchant répondant au pseudonyme de Vieux Tilleul était mort.
Il devait faire vite, si possible arriver avant la milice, pour savoir s’il avait été assassiné ou non. Cela avait par le passé été à de bien trop nombreuses reprises le cas. La nature fluctuantes des informations que les cadres traitaient rendaient les protections psychiques peu utiles bien que certaines, plus basiques, étaient posées. Un psychiste expert aurait sans doute le moyen de les pénétrer aisément. Mais une chose était sûre : on ne tuait pas impunément un membre de l’Œil, il fallait en avoir le cœur net.
Ainsi passerait-il sa journée en compagnie des rues de Proncilia, admirant les rives du Weane ou les parterres de fleurs, dont ses longs cheveux platines sublimeraient les couleurs.
Ou passerait-il dans les marchés animés qu’il fréquentaient seulement à de rares occasions. Peut-être même les quartiers plus sombres et les plus mal famés feraient partie de sa pérambulation.
Peut-être encore aurait-il sa justification morale de sacrifier un humain. Il ne l’espérait pas, il n’en avait pas besoin. Il n’aimait pas perdre son temps, de même que ses mots.
L’ennui était bon, mais les ennuis de trop.