Aucun ne pourrait jamais lui survivre

18 renop 1157 — Journal d'Elena

Que dire de cette journée, j'ai fait la rencontre d'une humaine. Hinat.

Curieux nom, je lui ai dit que son originalité allait bien avec ses traits atypiques, une manière détournée de parler du rire de Willanjis qui plisse ses yeux et ses lèvres. J'avais besoin d'elle pour qu'elle fasse évacuer quelques maisons, au cas où l'orage tonne. Leurs toits bâtis à la hâte ne sauraient résister à la moindre rafale, ils auraient tôt fait de s'écrouler. Ils ne seraient pas plus mal ainsi, sans le destin au-dessus de leur tête, attendant l'instant où ils trébucheraient pour les frapper en plein cœur.

Il n'est pas à moi d'en juger. Je l'ai charmée en lui offrant un repas. Son scepticisme s'est envolé lorsque j'ai raconté avoir été bannie de Cirel pour m'être ralliée à Roland. Elle m'a raconté son existence en long en large et en travers, son souffle ne semblait jamais se tarir. Je me contentais d'imiter ses positions, et avec le temps, elle s'est détendue. Je suis une ennemie, après tout, moi ! L'elfe. S'ils savaient.

Plus tôt, dans la journée, j'ai pu prendre un peu de temps pour récolter les indices de l'orage qui se prépare. La population, une fois rassurée sur mes intentions a accepté de me donner les informations qu'il me manquait.

Il fait chaud mais humide, pour la saison. En altitude, l'air est glacial. Les nuages ont atteint leur point d'équilibre et l'eau présente libère assez de chaleur pour être propice à un orage. Selon son évolution, je devrais sans doute faire appel à une Vigie Brûlée pour créer une nappe plus chaude en altitude, mais je n'ai pas envie. Il est si jeune, et il me parle déjà. Je ne comprends pas ce qu'il dit, seul Ghendry parle le langage des cieux, et il se refuse à continuer de leur parler. Après tout ça, ah. La vaste plaisanterie. Qu'il ne leur parle plus jamais, et qu'il soit réduit en silence que ce ne serait pas assez.

Tu comprendras donc que je n'aille pas le voir pour comprendre le murmure de leurs vents enragés, de sifflement de l'eau qui se cristallise en hauteur. Vynth a dit que je racontais des idioties, que les orages ou les raz de marée, que les séismes ou incendies ne parlaient pas plus qu'un arbre. Allons bon, voilà que les arbres ne parlent plus. Lui et ses cheveux verts devraient se remettre en question. Ils parlent, tout parle, le langage n'est jamais universel, mais tous les signes précurseurs sont parlants.

  

Je digresse. Hinat a été plus facile à convaincre que prévu, jouer sur leurs peurs, aussi mortelles et futiles soient-elles est toujours aussi aisé. Je sais ce qu'ils en diraient, ceux qui ont compté, mais ils ne comptent plus. Elle vivra tout au plus une décennie supplémentaire, je le vois dans la raideur de ses mouvements. Généralement, leur vieil âge les rend plus hermétiques et stupides à la réalité. J'ai prétendu qu'un escadron lycan avait été vu non loin, ils sont prêts à décamper, car les sots craignent davantage ceux qui leur ressemblent que les cataclysmes de cette terre.

Si je n'étais pas une Vigie, j'aimerais entendre la bête dans le ciel rugir leurs toits, déplacer leurs murs et réduire à néant leur existence en une seule seconde. J'aimerais voir comment les Éphémères, fiers conquérants de ce royaume, qui pensent que la terre leur appartient pourraient affronter les éléments.

Ça ne me réjouirait pas, assurément, mais enfin les voir se rappeler la place que nous avons, nous, habitants de Vesperae. À vouloir s'élever au plus proche de Danava, ils se brûleront les ailes. Mais je ne suis pas inquiète ; encore une fois je leur survivrai.