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Fondations de crainte et de souffrance
Texte de Kelora
03 grimstel 1147 – Journal d’Elena
Cette entrée sera un peu spéciale, je dois bien le confier à quelqu’un et je n’ai jamais réussi à t’en parler jusqu’à présent. C’est l’une des rares choses que je t’ai cachées, jusqu’à présent. J’imaginais que les prémices de la folie ne nécessitaient pas d’être contés. Pour être franche, je ne suis même pas certaine que quoique ce soit qui souille ces pages mérite d’être conté. L’habitude a la vie dure, je ne le remercie pas, lui qui m’y a initié.
Pourtant je continue nuit après nuit, durant les heures que je vole à Amarante et Davos, à écrire ce qu’il s’est passé. Je ne sais même plus pourquoi je m’échine à le faire. Selon Locë, il vaudrait mieux écrire plutôt que de le laisser en moi. Je ne vois pas franchement ce que ça change : je suis toute aussi bousillée qu’il y a 14 ans. Un enfant humain serait adulte, et je reste stupide et bloquée dans mes vieux démons. Comme si rien n’avait changé. Quatorze ans, c’est un peu plus du double de ce qu’il a fallu à Roland Ier pour détruire le monde et se l’approprier.
Et je le sens passer, dans mes os, dans mon esprit, je le sens qui me perverti un peu plus chaque jour, et pire que ça, le temps est si bien passé que je m’en réjouis. J’imagine Willanjis s’ébaudir à chaque fois que je lutte, remontant la marée du temps, pertinemment conscient que je vais me briser les os sur les rochers. Foutue Phyrintra, sans elle, je serais restée là-bas, dans la seule manière de pouvoir survivre à ses affres. Ils me disent que je ferais mieux de le prier, on ne peut se fatiguer à haïr un dieu. Les elfes haïssent depuis des années Narthe, je ne vois pas en quoi ça pose un quelconque problème.
Aujourd’hui ressemblait à hier, et demain n’attise pas plus ma curiosité. Je dois néanmoins décrire l’étrange trouble qui me prend. Ça a commencé avec des picotements dans le bout de mes doigts, comme lorsque je lance un sort, puis ils se sont propagés jusqu’à l’intérieur de mes joues. C’est lorsque mon cœur s’est mis à accélérer que j’ai été persuadée que j’allais mourir. Ça ne devrait pas m’effrayer, je serais enfin en paix, mais j’étais terrorisée. Parce que ce n’était pas seulement la peur de mourir, mais de finalement devenir folle. Je n’ai plus aucun contrôle sur mon corps, je ne peux que subir les fourmillements, les nausées et l’impression d’être au bord de gouffre, prête à mourir.
Voilà, depuis que j’ai arrêté la traque, c’est cela, une fois par mois ou semaine. En plus des cauchemars qui me suivent d'après Ghendry.
J’ai rêvé de lui, durant mes deux heures de grâce, j’ai rêvé qu’il était là, riait avec ses enfants. Et que je demeurais sur le côté, j’étais un bambin incapable de voler ou de marcher. J’étais impuissante alors que j’aurais aimé le voir. J’étais incapable de parole, alors que j’aurais voulu lui crier que je n’avais jamais cessé de l’aimer. J’étais là, spectatrice sans impact sur ce monde. C’était égoïste, je le conçois ; mais je ne m’en soucie pas plus que cela. Il avait sa vie, il méritait le bonheur et c’est ce qui avait tant compté pour moi…
Alors pourquoi aujourd’hui je ne peux m’empêcher de le regretter, presque cent ans plus tard ? Pourquoi lui, encore ? C’aurait pu être Arthur, dont le corps est tombé en ruine si bien qu’il ne pouvait plus se mouvoir sans hurler et que je dus l’achever ? C’aurait pu être Elio dont l’esprit est tombé en débris jusqu’à ce qu’il ne reconnaisse plus personne ?
Pourquoi est-ce encore et toujours lui ? Ils doivent avoir d’excellentes raisons que je ne désire pas entendre. Ils doivent avoir de parfaites solutions, eux qui semblent tout savoir sur comment je suis supposée utiliser ma magie, alors que Ghendry a bien fait d'apaiser mes vents, j'aurais été un danger.
Je me demande si elle est morte, tuée par les siens. Ça vaudrait sans doute mieux. A sa place, c'est ce que je désirerai. Mais ils n'ont pas touché mon corps, à moi. Il s'est contenté de mon esprit.