Dimitri s'appuya lourdement contre la devanture de l'auberge de Micarko, les membres gourds d'une fatigue qu'il devait autant à la chaleur qu'au volcan. Dans son dos, un peu plus au nord, la fête battait son plein, et sa jumelle devait s'en donner à cœur joie.
Nul n'oserait prétendre aimer Harroka sans réserves, les injustices y étaient légion et si catégorisées que de Cirel à Minghelle, tous les méprisaient. Pourtant, il aimait cette île. Il y avait dans l'air des souvenirs bien plus agréables que ceux qu'il traînait depuis le Continent.
Il y avait même Elle. Si différente, si majestueuse, si sauvage et indompté, ici. Mélissandre devait encore s'acclimater, et au milieu des animations de la cité, elle ne devait pas être manifeste. Il jeta un regard à la porte ; la tenancière devait l'en avoir informé.
Ni Astal, ni Laureline ne savaient où elle logeait, non pas qu'elles l'auraient mis en danger, mais elles dépréciaient qu'il s'implique ainsi ; menaçaient par le serment qu'elle ne rejoindrait jamais les Vigies.
Il mentirait s'il affirmait l'ignorer. Ce n'était pas l'objectif. C'en était bien loin. Il soupira, avachi par la chaleur qu'il ne supportait que difficilement, s'impatientant de l'arrivée de Mélissandre.
Description
Nom :Dimitri
Sexe : ♂
Race : Humain
Taille : 182 cm
Tranche d'âge physique : 25 - 35 ans
Morphologie : Fine
Couleur et longueur des cheveux : Noirs, mi-longs
Coiffure : Vaguement disciplinés
Couleur des yeux : Bleu turquoise
Tenue (description globale en cas de désaccord avec la skin) : Porte un pantalon en lin noir ainsi qu'une chemise bleue qui s'ouvre sur les différents tatouages qu'il a sur la peau. Il porte un manteau long noir. Ceux-ci prennent tout son cou, le haut de ses épaules et lézardent le long de ses bras en des lignes / à plats noirs. Le blanc de ses yeux semble tatoué également
Armement & équipement :
→ Sac à dos
→ Bijoux aux oreilles qui pendent et au nez.
Dimitri la considéra, la laissant parler sans l’interrompre, suivant les digressions de la jeune adulte sur ses propres ressentis et son rapport à ce qu’elle nommait la bête. Le terme lui déplaisait, cela allait sans dire, mais il s’abstenait de toute remarque sur le sujet. Peut-être le nom changerait-il ou deviendrait-il affectueux.
La considérer ainsi lui posait bien plus problème en sachant ce à quoi avait été réduite Laureline pour se prémunir de son pouvoir et sur son visage, quand bien même contrôlerait-elle ses expressions, tous pourraient en constater les séquelles.
« Je répondrai à tes questions, tant que tu essaies sincèrement. Le temps viendra à manquer, et tu devras continuer seule ensuite. Nous avons beaucoup à faire et les éléments sont instables, ces derniers temps. »
Puis, il se redressa, s’apprêtant à épousseter sa tenue de la poussière avant de la jauger d’un œil. Il remua qu’un instant les lèvres quand les particules dévalèrent d’elle-même sa tenue. Après tout, s’il préférait faire preuve de retenue quant à la magie, pour qui n’en côtoyait que trop rarement, cela pourrait sans doute lui permettre d’apprendre rien qu’en l’imitant.
« Je t’ai donné mon ressenti. L’assemblée préfère le contrôle. » Il haussa les épaules. « Je crois que ce n’est pas fait pour nous qui n’avons jamais rien connu de la magie et elle qui nous connaît si intimement. » Il contempla à nouveau la zone d’entraînement et fit quelques pas pour détendre ses jambes et évacuer le ressac des souvenirs.
« Elle est ta manière de la percevoir. Et elle change avec toi. Tu as encore besoin de la dissocier de toi, bientôt, ça ne deviendra qu’une manière de parler pour faciliter les échanges. » Il désigna les lieux. « Ici, Fulmyne ne sera pas trop en colère si tu abuses et le chemin pour t’y rendre n’est pas si dangereux. » Il la considéra d’un œil. « Et quand tu la contrôleras, tu pourras faire naître un golem de tes propres pouvoirs qui te protègera contre quiconque tentera de s’en prendre à toi, ou à ceux que tu aimes. Dans quelques années, peut-être. C’est l’une des conditions nécessaires pour faire partie des Vigies. »
Puis, il se remit à nouveau à contempler les lieux.
« Tu n’as qu’à écrire tes découvertes comme celles d’une archéologue. L’apaisement est ton objectif et chaque élément de réflexion deviendra une relique, un objet, une plante de ce que tu recherches. Ou n’écris pas. C’est une simple idée. » Il observa à nouveau les lieux. « Si tu veux progresser, voilà l’objectif : trouve des ruines, inspecte-les, et tente de les rebâtir en une version minimaliste à la surface. Tu travailleras ainsi ta perception et ta compétence de construction. »
Il esquissa un maigre sourire.
« Pour la destruction, je crois que le travailler te sera plus nocif. »
La Vigie se réinstalla sur son rocher et la contempla, attendant de voir ce qu’elle répondrait et ce qu’elle ferait ensuite.
Elle savait qu'elle taperait un sujet sensible. Elle le savait, car elle se reconnaissait quand il parlait de son expérience à lui, et qu'il n'essayait pas de lui faire de grands discours sur ce qu'Elle était réellement ; non pas qu'elle pensait qu'il n'était pas sincère, mais plutôt qu'elle voulait comprendre ce qui la liait Elle, la bête, et elle-même. Elle l'avait choisi, lui, car elle sentait ce lien, et il avait beau prétendre que cela ne lui serait pas utile, que leur vision était différente, elle se sentait normale quand il exprimait ce qu'il avait ressenti. Il aurait pu parler d'elle sans changer beaucoup de mots ; alors elle comprenait un peu plus.
Il ne faisait pas que lui dire qu'en essayant de faire taire son pouvoir, elle s'étoufferait elle-même. Tous lui avaient dit, mais elle avait essayé depuis, et lui aussi. Il était un étrange miroir, qui avait, un temps, emprunté la voie qu'elle s'était juré de prendre. Il en était revenu, comme une part d'elle songeait à ne pas la prendre, ou pas pleinement. Elle ne se voyait pas suivre sa voie, de celui qui semblait avoir touché un extrême après l'autre, mais il était ce qu'elle pouvait espérer de mieux comme mentor, lui qui avait plongé dans les deux chemins qui s'offraient à elle.
Elle se redressa un peu pour s'assoir au sol, plutôt que de rester à genoux.
« Je sais que j’en demande beaucoup, à toi qui m’offres déjà de m’entrainer, et je comprendrais que tu ne veuilles pas répondre à tous, d’autant que je dois déjà réveiller de mauvais souvenirs. Je sais qu’à tes yeux, même si je dois l’être en partie, je ne suis pas qu’une petite noble incapable de voir la beauté d’un don qu’elle a. Je sais que, plus que moi, tu sais ce que c’est de vouloir faire taire tout cela. Et je sais aussi que je grossis le trait, que ce n’est pas que comme ça que mes frères et sœurs de magie me voient. Lucinda, je sais qu’elle n’a pas une vision caricaturale de tout ça, elle aussi, elle sait ce que c’est d’avoir un don envahissant, qui s’impose à une vie plus normale. C’est surement dans ta recherche de museler ce pouvoir que je me retrouve le plus, dans le drame qui à fait que tu l’as vu comme une chose à faire taire. Et tu as choisi d’en revenir, et tu sembles en paix avec ce…pouvoir, qui ne semble plus s’imposer à toi. »
Elle prit un instant le temps de réfléchir à ce qu’elle pouvait concevoir de positif autour de son pouvoir. Lucinda lui avait déjà mis cela sous le nez, quand elle lui avait évoqué à quel point son don n’était qu’un obstacle à sa vie. La terre enfouissait le passé, et le concevrait en son sein. Et puis, était-ce si étonnant qu’elle construise des murs, elle qui avait une passion pour leur fabrication.
Elle encaissa sans broncher ses reproches, quoique sa fierté fut atteinte. Elle qui n’aimait pas perdre son temps, avait perdu de précieuses années à tenter d’approcher cette bête. Il faut dire qu’elle y allait à reculons, elle qui, habituellement, évitait de s’investir dans ce qui ne l’intéressait pas, au grand dam de ses parents qui la voyaient refuser ses obligations de jeune femme noble.
« Je n’ai jamais tenté de l’appréhender autrement…avant aujourd’hui. »
Elle observa un instant son mentor qui ne voulait surement pas l’être.
« Tu sais que je ne le fais pas par intérêt pour Elle, à la base, mais par besoin. Alors oui, je veux apprendre. Si pas à la contrôler, au moins à ne pas la laisser m’échapper quand je ferais face à ceux qui pourrait me rejeter et m’enfermer si ça m’arrivait devant eux. Alors oui, je n’ai pas une approche très ouverte à la base, mais si je dois avoir cette démarche pour arriver à la relation apaiser que tu as, alors je le tenterais. Je ne serais pas la plus enthousiaste, mais j’irais, je tenterais de voir ce lien qui semble la lié à mes passions, à explorer les vieux souvenirs qu’elle renferme, à observer d’une autre manière la nature même des bâtiments. Je suis terrifiée à l’idée d’aller vers elle, mais je suis prête à y retourner. Je veux juste comprendre ce qu’elle est. Pas forcément Elle, tu m’en as parlé, mais plutôt de la bête. Je commence à croire que ce n’est pas Elle, pas tout à fait. C'est pour ca que je te pose ces questions. »
Dimitri se figea, à sa demande, et balaya les poussières du regard. Il manqua de déverser les remarques d’Astal sur le contrôle, tout plutôt que de devoir aborder des terrains plus personnels. Il avait consenti à l’aider, parce que c’est ce que les humains faisaient : s’entraider. Mais la Vigie n’avait pas envisagé de devoir confier certains des éléments les plus complexes à une adolescente qui ne s’en servirait que pour parfaire un contrôle ; en cas d’échec pour le réduire à néant.
En finalité, il aurait préféré de la simple curiosité, mais il n’en parla pas. L’œuvre était ainsi faite que, de bien des manières, il n’était qu’un outil, comme Colotl le lui avait dit. Heureusement, sa sœur restait aussi impétueuse qu’une tempête de sable et lui rappelait la présence de ses parents. Une plaie dont il ne guérirait jamais vraiment.
« Je doute que cela te soit très utile. Mes perceptions étaient très loin des tiennes, bien que similaires. Pour toi, elle est un monstre cadenassé à l’intérieur, pour moi, elle était partout autour. Une menace constante que j’étais le seul à percevoir. Une menace que je faisais réagir, qui m’appelait, qui me parlait une langue que je ne comprenais pas ; là où demeurent les ossements de ceux qui me sont chers. Et la colère qui ne cessait jamais de gronder, appelant la violence. » Il se frotta lentement le menton. « Cette colère que je la croyais posséder n’était que la mienne, tout comme elle n’était que moi. J’étais en colère contre moi-même. Je le suis toujours. »
Il contempla les hauteurs du mont Fulmyne, quelques instants, avant d’en revenir à son interlocutrice.
« Quand j’ai appris à la cadenasser, en premier. La contrôler. Je me cadenassais moi-même. Je m’empêchais d’exister parce que j’étais persuadé d’être une erreur de la nature, quelque chose qui n’aurait jamais dû voir le jour. Aussi, sa présence partout était devenue la tentation d’un monstre à tuer, je la scellais, et les exercices ne ressemblaient qu’à me pousser dans mes retranchements jusqu’à ne plus rien ressentir. Me dissocier de l’humanité me permettait de contrôler le monstre qui existait absolument partout et en tout lieu. »
Puis, il observa Micarko en contrebas.
« Mais à trop serrer le poing, on finit par ne plus avoir de force et la corde nous échappe. Elle est là, depuis toujours : son existence précède les dieux. Elle est une force ancestrale avec laquelle nous sommes capables de communiquer – qu’elle nous ait à la naissance cette capacité, ou qu’autre chose en soit responsable n’importe pas. »
Puis, enfin, en revint à son interlocutrice.
« Tu vois sa force, pas ses connaissances. Tu vois son existence et tu crois que tu es en mesure de la contrôler : tu ne peux pas. La seule chose que tu contrôles, c'est ta manière de lui parler. Tu veux apprendre, mais pas la connaître. En autant d’années, que tu n’aies fait aucun véritable progrès révèle que tout ce que tu veux, c'est qu’elle t’obéisse, soit tu n’as pas vraiment essayé, soit tu n'as jamais tenté de l’appréhender autrement. » D’un haussement d’épaules, il tenta d’apaiser l’amertume de son propos, comme si tout cela n’était pas plus grave qu’important. « Elle n’est pas que puissance, elle est source de vie. Et si Dame Nature existe, elle en est la mère. En son sein, tout peut arriver, elle abrite, alimente et retient tout. C’est à la fois notre mémoire et notre avenir, cela m’a pris des années à pas seulement le comprendre, mais à le ressentir pleinement. C’est pour ça que je crois que si tu parviens à voir au travers d’elle, tu comprendras véritablement ce qu’elle est et que tu cesseras de la haïr. Au-dedans, comme au-dehors. »
Sa main la ramena à la réalité, au temps présent, loin de la peur éveillée, du mélange de satisfaction et de déception qui émanait de sa presque-réussite. Elle ne s’offusqua pas de cette proximité soudaine à laquelle elle n’était pas habituée. Elle fut partagée entre un inconfort et l’aspect étrangement rassurant de ce contact qui lui rappelait sa présence. Elle savait surtout que son retour sur son médiocre exploit suivrait, ainsi que les autres conseils qu’il avait la patience de lui donner.
Plutôt que de rejeter la faute sur la bête, comme toujours, cette fois, elle chercha à comprendre où elle avait échoué dans son approche. A cet instant, elle savait qu’elle avait franchie une ligne, en acceptant le monstre en elle comme une erreur de sa part, comme quelque chose d’autre qu’une créature à sceller ; non pas qu’elle la considérait comme il l’aimerait, comme une part d’elle-même, mais force était de constater qu’elle avait fait bien plus cette fois, en l’approchant, que toutes les autres fois.
Elle l’observa un instant, alors qu’il reprit son incantation, s’attendant à voir, comme avec les Thaumaturges, les flux de magie. Quelle ne fut pas sa surprise. Elle eut du mal a mettre des mots sur ce qu’elle venait de vivre, sur ce qu’elle avait « vue » au travers de son rituel pendant lequel elle eut la sensation d’être plongée au fond de la terre. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait cette impression d’être enterrée, mais la première ou ca n’était pas uniquement la désagréable impression d’être étouffée par la bête qui prenait le dessus sur elle.
Alors que le rituel se termina, elle l’observa un moment, murissant sa réponse.
« Pour être parfaitement honnête : pas tout à fait. »
Elle fronça un temps les sourcils, avant de détailler un peu sa réponse.
« Je comprend ce que tu essais de me faire voir, mais je ne comprends pas ce qui relie ce que tu me montre à ce que je ressens. Je ne me suis pas précipitée parce que je me dois d’apprendre rapidement, je l’ai fait parce que… »
Elle prit quelques instants pour réfléchir sa réponse, pour mettre les bons mots, et essayer de lui expliquer ce qu’elle ressentait.
« …parce que ça m’envahit. Tout ça me dépasse, je suis une jeune humaine, je n’arrive pas à contenir une force aussi… »
Monstrueuse.
« Sauvage et démesurée. Alors, comme cela m'échappait, j'ai tenté de contrôler le tout et d'en revenir à ce que tu attendais de moi. »
Elle secoua la tête, dans un soupire, puis l’observa, plus intensément.
« Si tu le veux bien, j’aimerais te demander quelque chose. »
Et quand il lui confirmerait son accord, s’il lui confirmait, elle enchainerait avec sa question.
« J’aimerais savoir comment tu le ressentais, toi, quand tu as commencé à essayer de puiser dans sa force sans te laisser dévorer par elle. Est-ce que toi aussi tu ressens, ou tu ressentais, sa présence comme celle d’un autre, enfermé en toi. Ce n’est pas pure curiosité : j’aimerais comprendre ce que relie ce que tu me décris et ce que je ressens. Parce que pour l’heure, j’ai du mal à faire ce lien et je ne le reconnais qu’une seule vraie qualité : elle est la chose la plus puissante que j’ai eu l’occasion de côtoyer. »
Dimitri ne l’avait pas sous-estimée. Et pourtant, lors du jaillissement du premier geyser de la terre, il fut surpris. La déferlante jaillit en tout point et les sueurs devinrent de plus en plus présentes à chaque instant tandis qu’il luttait, qu’il apaisait et qu’il déplaçait les conséquences du premier lâcher prise de la sang-sauvage. Les spasmes envahirent ses membres et, alors qu’il se plongeait à son tour dans la terre, ne la trouva pas.
Ce n’était pas qu’elle ne l’écoutait pas, comme il avait craint, trop prompte à écouter les cris de colère envers elle-même plutôt que sa voix ou lui, trop prompt à dispenser ses leçons comme autant de vérités générales. Plutôt qu’elle se lâchait et en finalité se retenait, à l’instinct, elle supplantait l’intellectualisation de tout ce qu’elle percevait, au ressenti, elle imposait la logique. En somme, Mélissandre appliquait à la magie ce qu’elle croyait être nécessaire. Peut-être l’était-ce pour elle, peut-être. Il n’en savait pour ainsi dire, rien. Astal, Sienna, Laureline ou lui-même fonctionnaient à l’instinct. Pour eux, l’intellectualisation ne menait qu’à des déboires terribles qui entravaient la magie.
Il n’y avait rien de magique à mesurer la taille d’une galerie. La pensée s’imposa à lui et il n’en comprit pas tout à fait le sens, il la laissa couler sur lui, trop occupé à exister partout et nulle part, éprouver la présence brute de la jeune femme et sa magie qui courait le long de son échine comme un éboulement.
Il ne contrôla pas tout, et ne voulut pas mettre sous silence sa magie et laissa les geysers les plus en marges, loin des régions de sensibilité de Fulmyne qui, chatouilleuse, pouvait éructer un rire bouillant. Ceux-là, qui ne menaçaient nul, il les laissa et se rapprocha de la jeune fille à genoux. La fatigue aiderait, ou les feraient régresser, mais il ne pouvait se questionner trop longtemps.
Sélène avait bien compris que l’unique moyen d’obtenir un résultat de lui était de le pousser dans ses retranchements et s’il se refusait à lui infliger ce qu’elle avait réalisé, il fendit le mur en une coulée de poussière pour rejoindre l’adolescente à genoux. Il se laissa tomber à côté d’elle, sur ses genoux, et emprunta quelques instants pour les laisser reprendre leurs souffles. La retenue s’était échappée puis était revenue, comme si le monstre ne pouvait pas tout à fait être libre. Il ne pouvait s’empêcher de croire qu’il lui avait manqué le plus essentiel de l’exercice et resta assis quelques instants, contemplant le champ de ruines autour d’eux, sans se soucier de ce qu’elle avait excavé. Sur son corps, les tatouages noirs palissaient par endroit, représentant des symboles qu’il désirait plus que tout masquer.
Il la regarda, se réservant le temps de la réflexion et saisit sa main dans la sienne.
« C’est un début, reprit-il une fois certain que sa voix était neutre. Mais tu ne cherches que le but, tu ignores le chemin quand c’est lui qui importe. Tu as fait un bon pas en avant, mais tu dois prendre ton temps. Elle est lente, c’est une créature qui ne s’anime que lors de grandes colères, autrement : mieux vaut ne pas la brusquer. »
Cette fois, il hésita, ne sachant plus s’il devait la brusquer ou la laisser s’acclimater, incertain face à ce que Sélène ou Astal auraient fait. Aucune de ses mentors n’avait jamais pris le temps, et si cela lui convenait, il se retrouvait démuni face au besoin d’être brusque à son tour. L’ironie macula son palais du goût amer d’un poison. Les éclaircies redevinrent ténèbres sur son corps.
« Je sais que tu veux régler le problème et j’en comprends l’urgence, commença-t-il plus tranquille. Mais à te précipiter… C’est comme construire une maison sans préparer les fondations, ça tiendra peut-être quelque temps, mais il suffira d’une bourrasque pour la faire s’effondrer. »
Il détestait s’entendre parler.
« Elle est toi. Tu es elle. » Il se répétait, qu’il était pénible. « Mais tu dois réunir ces deux parts de toi. L’unique moyen est d’en découvrir les bienfaits. Tu ne peux aimer ce que tu crois être monstrueux que si tu apprends à reconnaître ses qualités. Tu as réussi ce que je t’ai demandé, elle t’a obéi, c’est ce que tu voulais. Maintenant, tu dois voir au travers de ses yeux. »
Il répéta l’incantation, un peu plus raide à mesure et lui offrit une presque vision de ce que lui percevait, s’aidant de sa main pour l’attirer dans ses filets et user de sa magie à elle, indomptée, qui renâclait à cette excursion, mais qu’il chatouillait à peine. Comme Fulmyne, il n’effleurait que la colère. Puis, il se poussa dans la terre.
Pour lui, c’était voir sans yeux, sentir sans nez, éprouver sans peau. Un autre sens qui s’activait et qui employait tous les autres pour exister. Dans la terre, il s’enfonça et la laissa contempler les excavations des geysers, les innombrables insectes qui arpentaient les sols, les graines enchâssées dans l’ambre datant d’autres temps. Et avant qu’elle pût ou qu’elle voulut se dégager de lui, il interrompit le processus.
« Comprends-tu ? »
Elle se renfrogna un peu, mais ne pu rien en redire. Elle ne pouvait pas lui rétorquer qu'il ne savait rien de la bête, même si elle doutait toujours de le proximité supposée. Il parlait d'elle comme si elle était l'essence de la terre, comme si il la partageait : ce n'était pas ce qu'elle ressentait. Elle avait la sensation d'une chose bien plus intime, quelque chose de profondément niché au sein d'elle-même. Alors il y avait deux solutions : soit il se trompait, soit elle comprenait mal ce tumulte depuis toujours.
Elle suivit ses directives et posa sa main sur le mur, se préparant à une autre leçon pendant laquelle il prendrait plaisir à éroder ses convictions. Mais là encore, son agacement fit face à une réalité brute, elle aurait voulu lui dire qu'elle aimerait l'y voir, à ne pas craindre la bête, mais il l'avait fait. Il avait ouvert la porte à ce qui avait tué ses parents, et aujourd'hui il en parlait comme d'une amie. Il lui répondrait que ça n'avait pas tué ses parents, mais il avait tort. Il niait la dangerosité de cette chose, qu'elle soit une bête ou non, qu'elle soit consciente ou non. Le capitaine Nils lui avait dit qu'un soldat devenait dangereux avec une lame, mais il avait le choix de la porter au milieu des civils, et il la portait, car, par volonté ou par besoin, il avait fait le choix de se battre. Pas elle. Pas eux. Le capitaine n'avait pas eu une arme avant de savoir la manier. N'importe quelle autre jeune fille l'aurait giflé. Et quant à son professeur, qu'importait le sujet de sa colère ou de sa peur, il ne les aurait pas tués.
Mais pour l'heure, ça n'importait pas. Puisqu'elle avait une épée, elle devait apprendre à la manier. Si ça n'était que ça, qu'un pouvoir, qu'une "épée", elle devait cesser de la craindre. Dans tous les cas, en sa présence, elle ne craignait probablement rien. Elle se laissa porter par ses mots, et inspira, en fermant les yeux.
Elle se releva de la terre séchée qui constitue son monde, et observa l'entrée de la grotte qui se tenait devant elle. Un frisson la parcourut, et fit trembler le sol sous ses pieds. Elle inspira à nouveau. Ne pas avoir peur. Elle ouvrit la porte qui menait aux souterrains.
Son corps trembla, alors que l’odeur de terre emplissait ses narines, et que le bruit des roches emplissait ses oreilles.
Elle s’engouffra dans ses galeries, comme son pouvoir se propagea dans les sous-sols d’Harroka. Les galeries tremblaient des mouvements d’humeur de la bête, mais elle continua sa route. Elle connaissait par cœur les galeries fictives qu’elle avait compulsivement cartographiées comme si ce monde existait. Cela l’aider à rendre tangible et logique ce qui la dépassait.
Elle fut prise de quelques spasmes, alors que le goût de la terre commençait à se faire sentir dans sa bouche. Elle inspira.
Les galeries avaient une taille qui, paradoxalement, par leur immensité, semblait l’écraser. Mais elle finissait par s’élargir encore, à l’approche du nid où elle se terrait. Elle resta un instant à l’encolure, observant la forme qui se tenait devant elle, incapable d’en distinguer les détails à cause de l’obscurité ambiante. Puis elle lentement la paume de sa main, en faisant un pas méfiant vers elle.
Elle ouvrit soudainement ses yeux, mais sa vue troublée l’empêcha de voir. Suffoquant de la sensation d’avoir de la terre dans sa bouche. Son pouvoir s’échappant de son propre corps manqua de la sonner alors que la terre, irritée de son intrusion maladroite, recracha, en divers point, autour d’elle, de petits geysers de terres et des roches jaillissant des profondeurs.
La grotte tremblait sous les mouvements agacés de la bête face à son approche. Sentait-elle sa peur ? Elle avait beau tenter de faire la fière, celle qui s’avancerait sans crainte : elle était terrifiée. Bien sûr qu’elle l’était. Cette force la dépassait et avait déjà échappé à son contrôle suffisamment pour lui faire perdre conscience. Sa fierté était peut-être bien la seule chose qui la faisait continuer à s’avancer lentement vers la bête, la paume en avant, pour tenter un premier contact.
Les geysers s’apaisèrent avec les sons, sa vision se fit moins trouble, et, si le goût de la terre semblait vouloir rester, elle retrouva une respiration plus régulière. Elle s’accrocha à la première chose qu’il lui sembla sentir, dans les entrailles de la terre, sans se soucier de s’il s’agissait d’un os ou d’un trésor, et tenta de le faire remonter à la surface.
Il le fut. Mais sa volonté d’en terminer rapidement avec cette expérience fit qu’il jaillit à plusieurs mètres du sol, avant de retomber lourdement au sol ; comme elle sur ses genoux.
Il l’écouta, mais ne commenta pas, la laissant établir ce qu’elle pensait avant de lancer son sortilège et alors que le mur émergeait, il déploya ses propres dons dans un murmure. Il contrôla les conséquences que la novice ignorait et compensa les imprécisions que la Sang-Sauvage. Le mur qui émergea dissimula la goutte de sueur qui dégoulinait le long de son front, par l’effort et les grondements de Fulmyne, insatisfaite de se faire ainsi manipuler.
Ou peut-être projetait-il son humanité sur une montagne ? Il en doutait, elle était déjà présente à l’aube du monde et mère des passions, se retrouvait abris de bien des créatures.
Il se replaça en hauteur et alors que le sourire satisfait étirait ses lèvres, le géomancien se fit un devoir de le doucher.
« Comment pourrais-tu t’effacer devant toi-même ? Ou même en parlant à celle sur laquelle nous marchons tous. Elle est bien plus capable que ce que tu crois ; tu manques d’imagination. Soit parce que tu as peur, soit parce que tu te mens à son sujet. »
Il contempla le mur et pencha la tête, se décidant à se faire professeur.
« Le mur est une partie de toi. Tu le perçois, il est physiquement là. Touche-le, et propage ton pouvoir. Ça demande de parler, pas de crier, ni de murmurer. Affranchis-toi de ta peur, et laisse-la te montrer ce à quoi tu es aveugle. »
Une fois qu’il fut assuré qu’elle le touchât, il continua :
« Ta main est le mur, ton corps est le mur, ton esprit tout entier peut s’y propager. Laisse-toi porter, c’est presque comme s’endormir. Quoique tu aies fait en toi pour bâtir ce mur, retrouve ces sensations et apaise-toi. Comme si tu cherchais à approcher la bête avec un os. Cet os, c’est ton acceptation de celle que tu as toujours honnie. »
Sa voix se fit plus basse, bientôt une berceuse.
« Une fois dans le mur, tu es la terre, tu sens mes pieds sur le sol, les tiens. Tu sens les insectes qu’elle héberge. Tu perçois dans les profondeurs les ossements. »
Il murmurait désormais.
« Et une fois que tu trouves, demande-lui de te l’apporter. Les paroles importent moins que l’intention, mais répète après moi quand tu l’as trouvé. »
Et il incanta une première fois les mots consacrés à l’extraction des objets de la terre, une fois qu’il fut sûr qu’elle l’ait entendu, il se prépara à nouveau à circonscrire le pouvoir pour éviter à Mélissandre de s’effaroucher comme une bête.
Elle haussa un sourcils. Pourquoi pensait-il qu'elle était capable de quoi que ce soit de proche de ce qu'il décrivait ? La bête protégeait comme la bête détruisait, mais elle doutait qu'elle soit capable d'autre grâce à ses dons, et apprendre d'autres sortilège ne l’intéressait pas vraiment. C'était une puissance animale qu'elle peinait à canaliser, qu'elle commençait à peine à réussir à diriger. Son don était...une masse. Un outils puissant mais avec lequel on ne travailler pas précisément. Ça venait d'un coup, et on faisait au mieux pour atteindre le résultat escompté sans réellement avoir une parfaite maîtrise du résultat.
« Elle ne manque pas de force, mais je n'ai vraiment aucune envie de laisser passer une puissance qui me dépasserait. Je ne compte pas m'effacer à nouveau devant elle. Mais je peux faire mieux, ne t’inquiète pas. Je n'ai juste pas l'habitude de faire ça devant quelqu'un. »
Elle mentait un peu, même si elle ne se l'admettrait pas pleinement. Elle avait cependant pleinement conscience que son don était profondément lié à ses émotions. Et si elle était parvenue à éviter que son don ne déborde plus, ça n'était pas, contrairement à ce qu'elle pensait, par une meilleure maîtrise de celles-ci, mais simplement parce qu'elle était devenue meilleure à les étouffer. Sa colère envers sa mère ou son grand-père, son inquiétude profonde envers le devenir de son père, ses angoisses liés à ce qu'elle avait fait, sa culpabilité et sa tristesse face à celle qui avait péri au laboratoire. Elle n'avait pas fait face à tout cela, elle avait simplement tenu le coup, et tourné rapidement la page. Elle ne faisait qu'essayer d'imiter, mais elle n'osait pas vraiment, ni ne savait réellement, laisser ses émotions parler sans se laisser submerger. Sauf quand elle faisait ses croquis, ou qu'elle explorait des ruines anciennes.
« Ma bête construit des murs et détruit des choses. C'est pas que j'ai particulièrement envie d'un mur entre nous, mais j'aimerais autant éviter de te blesser, même si je doute réussir à te blesser. »
Elle inspira. Il avait détruit son mur avec une telle facilité que son orgueil avait été piqué. Il voulait un mur digne de l'architecte qu'elle était, il ne serait pas déçu. Elle ferma les yeux et expira. Elle prit le temps de se plonger un peu plus dans son monde désertique et dans ce qui dormait sous la surface. Elle s'imposa leurs voix, leurs discours sur les monstres, les cages, et ce qu'ils penseraient d'elle. Elle repensa aux bandits et à ce jour où elle avait semé le trouble chez les Thaumaturges. Elle tenta de retrouver ce sentiment qu'elle avait éprouvé en toute ces occasions. Au fond des galeries, la bête remuait. Elle sentait jusque dans sa chaire ses mouvements. Elle rouvrit les yeux, d'un air déterminé, cette fois, il verrait.
Et dans un mouvement de rejet, elle fit jaillir du sol, en arc de cercle bien plus régulier, un mur de pierre plus solide et plus épais, empruntant ça et la, de fausses allures de murs de cours Proncilienne. Elle fut elle-même un peu surprise, et eut un sourire satisfaite : ça n'était pas parfait, mais c'était déjà plus digne de l'architecte qu'elle était.
Il contempla le jaillissement, s’accrochant aux rebords quand la terre tremblait. Les grains de poussière, précédemment surpris furent bringuebalées de gauche à droite, soulevés en des éclats qui jaillissaient de la terre elle-même. A sa place, Dimitri repoussa sa propre magie pour le protéger de tout élément excessif et le mur qu’elle fit émergea de la terre comme l’on accouchait d’un aveu.
Il inclina la tête propageant sa magie par ondes pour éviter que ses actes ne perturbent Fulmyne outre mesure. La grande Dame de Harroka était pour le moins susceptible et son tempérament volcanique ne cédait rien à personne. D’une certaine manière, le placide géomancien enviait les Vigies Brûlées, autant leur capacité à périr que leur manière d’être aussi directe que le feu.
Son don oscillait dans la terre, l’effet doppler de la pierre que la novice manipulait. Il lui fallait attendre, encore un peu. Encore un peu avant de faire la meilleure chose qu’avait pu faire Sélène pour lui. Le niveau n’était pas très haut, s’avoua-t-il. Mais il distinguait enfin en Mélissandre l’étoffe d’une magie. Elle enchaînait chacun de ses sortilèges des menottes de la peur, et, s’il ne se trompait pas, de la haine d’elle-même. Une part de lui espérait se tromper, l’autre s’avouait que de trouver un écho à sa jumelle et lui-même serait salutaire.
Il pencha la tête, sentant le regard de la mage sur lui, et arqua un sourcil, surpris.
« Tu as voulu faire un mur, entre nous ? » Il sourit en coin et suivi un bout de roche qui atterrit en un fracas. « Tu peux faire autant de choses qui te viennent à l’esprit. Tu peux déterrer les trésors enfouis en profondeur, tu peux les sentir… Et la première chose qui te vient c’est un mur ? »
Il se redressa et s’avança jusqu’à elle, contournant largement le mur. Il s’arma de la poudre blanche et la disposa autour d’elle, en un cercle, en continuant de parler d’un ton tranquille. La confiance, suivie d’une émotion plus brute. Le plan était bancal. Mais leurs vies, aux sang-sauvages l’étaient tout autant.
« C’est sans doute trop tôt. Ça, c’est un cercle de pouvoir. Pour permettre de ne rien laisser entrer et faire… Une caisse de résonnance avec la magie. La bête, comme tu l’appelles, devrais pouvoir gagner en force. »
Il se détourna ensuite, balayant le mur après un effort dont il dissimula l’ampleur.
« Fais ce qui te vient. Mais fais le vraiment. Si tu veux un mur entre nous, montre l’architecte. Si tu veux autre chose, mets-y un peu du tien. »
Il s’installa lourdement sur son rocher et la regarda.
« Si Fulmyne entre en éruption, Tanwen est dans la région, il dévorera les flammes ou… Eh bien. Autre chose. »
Elle observa sa création, aussi brutale que précise. Elle haussa un sourcil en observant la création bien éloignée de tout ce qui pourrait exister naturellement, de tout ce à quoi elle aurait pu penser. Elle sourit, une fois son sourcil revenu à sa place. Était-ce réellement surprenant de sa part ? Il n'avait rien de "commun", ni dans son allure ni dans sa manière d'être. À vrai dire, par bien des aspects, il ressemblait à un thaumaturge rigoureux, ce qui, à sa connaissance, n'existait pas vraiment.
Elle inspira, fermant les yeux, et s'imagina son désert de roche, sous lequel la bête dormait, et dont elle ressentait chaque respiration. Elle s'imaginait le labyrinthe de galeries souterraines. Elle rouvrit les yeux et se concentra d'un air déterminé. Elle ne connaissait que réaction de la bête : détruire et protéger. Elle n'avait qu'a faire germer le désire d'être séparer de lui, mais ça n'avait rien d'aisé quand elle avait traversé tant de lieux, abandonné tant de chose, dans l'espoir de le retrouver. Elle cessa alors de penser à lui, et fouilla dans des sentiments bien plus personnels, d'un sentiment qu'elle avait maintes fois ressenti : un profond désire de s'isoler du monde. Son attitude et son visage neutre se muèrent alors brusquement dans un mouvement de recule alors qu'elle ferma les yeux en ramenant ses bras en croix devant elle, dans un geste défensif. La bête remua un peu, et quelques fragiles murs de roche se dressèrent entre elle et lui, s'effritant déjà alors qu'ils venaient tout juste de jaillir de terre.
Elle soupira, dans un mouvement de tête démontrant une légère déception, puis releva les yeux vers lui, pour voir sa réaction. Ce n'était pas grand-chose par rapport à ce dont elle était capable, mais elle avait l'habitude d'être seule pour ses entrainements. Elle se sentait un peu ridicule à devoir faire semblant pour créer quelque chose, elle se posait mille questions sur ce qu'il penserait de sa méthode ; et plus elle parvenait à imiter ces émotions, plus la bête réagissait. À vrai dire, elle avait toujours était plus douée pour détruire des choses, mais ce n'était pas un don qui l’intéressait grandement.
"Ça a pas très bien marché...je peux recommencer si tu veux."
Une bête, sauvage, sous-estimer. Dimitri acquiesça et continua de marcher en silence. Il aurait été d'accord avec elle, des années plus tôt, mater la magie pour mieux l'exploiter. D'une puissance s'en faire une esclave docile. Peut-être était-elle trop noble pour comprendre quelque chose qui échappait à son contrôle.
Non pas qu'il lui en voulut, d'être ainsi née, mais sûrement, fallait-il accepter que tous ne pouvaient constituer une volonté de liberté suffisamment importante pour apprivoiser la magie. Au fond, si elle n'y arrivait pas, il ne s'en inquiétait pas. Là où Laureline, désespérée, s'était transformée en lycan plutôt que de prendre le risque de blesser quiconque, elle semblait plus mesurée.
Finalement, de sentiers en rebords, de falaises en pontons, ils arrivèrent où Dimitri le désirait.
En contrebas, la ville de Micarko paraissait minuscule, on distinguait la mer s'échouer sur les côtes comme sur le pont, jaillir en des gerbes écumeuses et retomber sur les falaises les plus abruptes du sud. L'endroit se creusait en une plaine d'une dizaine de mètres de long, on y retrouvait des sculptures à peine terminées, des crevasses incertaines et autres étrangetés que lui, sa sœur ou Sienna créaient en s'entraînant sur les ordres d'Astal. Des cercles concentriques, creusés à même la pierre, formaient un étrange mélange de symbolisme et abstrait.
Si l'on connaissait un peu les personnes qui s'entraînaient, on discriminait dans les renflements lisses aux milliards de grains de poussière agglutinés l'œuvre de Sienna, de ceux escarpés, où criait la colère de sa jumelle. Les siens quant à eux étaient à peine visibles, victimes d'un contrôle trop exigeant envers lui-même.
Il se plaça au cœur de l'un des cercles et sortit un petit pot de poussières calcaires, s'encerclant des poussières. Il incanta tout bas, dans un commun aux accents légers d'Astal, et à ceux plus profonds de Sélène. Sa voix bâtarde devint sienne et ses psalmodies contaient une histoire. L'histoire de la terre, d'ici à ailleurs, protectrice et nourricière, à l'origine de tout — même avant le monde.
Peu à peu, son pouvoir se déploya et jaillit une excroissance brutale de la terre, fendant vers les cieux sa lame argentée, à l'un des points les plus éloignés de la jeune femme. Autour, il jugula le tremblement, si bien que seuls quelques grains de poussière, surpris, haussèrent des sourcils qu'ils n'avaient pas. Comment osait-il les troubler ?
Puis une seconde jaillit, et ainsi de suite, jusqu'à former un amalgame de pics rocheux qui se confondaient les uns avec les autres ; comme les branches d'un arbre centenaire. Il termina d'incanter et s'installa sur l'une des excroissances terrestres avant d'observer en silence Mélissandre.
Si elle lui demandait, il répondrait "Fais ce qui te vient", mais il la laisserait parler en premier.
Elle fronça les sourcils. Mais l'idée d'aller se présenter à eux lui traversa l'esprit, bien qu'elle savait pertinemment que ce n'était pas quelque chose qu'elle désirait, juste pour lui prouver qu'elle n'était pas si incapable. Il en chassa l'idée en lui proposant de la tester, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Voilà qui était plus dans son idée.
"Pas besoin de faire simple physiquement. J'ai l'habitude. Mes entrainements ne m'ont jamais épargnés. Et je suis prête à pousser plus loin. Tu as l'habitude de gérer des catastrophes après tout. Je ne devrais pas avoir a m'inquiéter."
Elle suivi son rythme avec une certaine aisance : la marche avait toujours fait parti de ses activités quotidienne et elle s'était équipé au mieux qu'elle pouvait, considérant les contraintes de la régions.
"Je n'ai pas l'intention de te détester. Si je devais le faire, ce serait déjà le cas, tu as déjà dit ce que tu pensais de ma responsabilité," elle secoua la tête puis enchaina, "cela dit, je préfère te prévenir qu'un abjurateur expérimenté s'est fait surprendre par la sauvagerie de mon pouvoir quand il l'a scellé pour quelques jours. Je maintiens que c'est une bête, quoi que ca puisse vouloir dire ou réellement être. Et je ne voudrais pas te blesser parce que tu le sous-estime."
Dimitri contempla les expressions se succéder sur le visage de la jeune femme. Elle ne semblait pas véritablement comprendre où il voulait en venir, une suite de faits qui décrivaient la Bête comme elle se plaisait à l'appeler, sans le vice dont elle lui attribuait bien volontiers tous les torts.
Sa question esquissa un mince sourire.
"Ce n'est pas tout à fait parler. Mais ils communiquent, à qui sait être attentif." Il contempla les golems quelques instants, et esquissa un mince sourire. "Ils sont les progénitures de la terre et de la roche. Pour eux, la Bête est leur créatrice. Sans elle, ils ne seraient pas en vie."
Il se détourna ensuite et progressa le long du sentier qui s'éloignait de la ville comme des golems.
"Mais c'était une plaisanterie. Tu n'es pas prête pour ça. Tu es encore trop embourbée dans ton propre orgueil pour parler avec des créatures pareilles ; tu ferais l'erreur que tous font. Les mépriser."
Il balaya ensuite l'air de la main et continua, tout en marchant d'un pas plus dynamique.
"Nous allons voir ce dont tu es capable, avec la magie. Si tu ne dis jamais oui, tu ne peux pas apprendre à dire non. Ce sera simple, physiquement. N'importe quel enfant en est capable. Le travail le plus complexe sera de détruire ce mensonge que tu t'es construit."
D'un regard en arrière, il avisa l'adolescente et la jaugea.
"Tu me détesteras sans doute, à un moment donné. Mais je serai moins terrible que celle qui m'a tout appris. J'espère que tu sauras me pardonner si je ne me trompe pas. Ou peut-être seras-tu plus sage que moi. Selon le continent, c'est une des caractéristiques des gens comme nous : la sagesse."
Puis, il continua de marcher et de monter, laissant la fatigue envahir ses membres rodés à l'exercice, ralentissant le pas pour s'adapter à celui de Mélissandre, ou l'accélérant quand elle s'en sortait bien.
Mélissandre l'écoutait avec attention, bien qu'elle se demandait où tout cela menait. Etait-il seulement en train de parler de son travail pour faire la conversation ? La manière dont il le disait lui faisait penser que non, et elle se sentit un peu comme face à Lucinda lui parlant d'une maison. Elle s'agaçait parfois, de cette tendance à vouloir complexifier un message en l'enrobant d'une image, pourtant, elle savait trouver ça passionnant quand il s'agissait d'en apprendre plus sur d'ancienne civilisation, et quand il s'agissait de transmettre une volonté par l'architecture d'un bâtiment. Et puis, elle même avait sa propre vision de ce pouvoir, cette bête, enfouie dans les galeries souterraines, prête à jaillir hors de sa tanière au moindre faux pas.
Elle releva alors la tête vers lui ; l'éruption. Elle secoua alors la tête en soupirant. Elle avait failli passer à côté, l'image n'était pourtant pas bien compliquée.
Elle n'était pas bien sur du reste de l’interprétation, mais il semblait l'inviter à fouiller les sous-sol dans laquelle elle enfermait la bête. Ça n'avait rien d'étonnant venant de lui, il l'avait déjà inviter à ne pas craindre la bête. Mais ce que cela signifiait vraiment était encore assez peu clair pour elle. Les galeries ne représentaient-elles pas tout ce qu'elle mettait en place pour garder la bête sous terre ?
Elle laissa un peu de côté ses questions car d'autres choses attirèrent son attention. Tout l’intéressait ici, tout semblait différent, nouveau. Cela lui rappelait ses expéditions, plus jeune. Cela lui rappelait Rostheim ; elle ressentit une étrange nostalgie. Pas tant pour l'époque, bien qu'une partie des problèmes étaient encore devant elle à cette époque, peut-être pour Théodore qui, même s'il lui avait mentit tout ce temps, n'avait pas mérité ce qu'elle avait fait, et pour qui elle avait eut une réelle affection. Elle osa penser, un instant, que si elle avait accepter ce mariage, les choses seraient plus simple aujourd'hui, avant de balayer l'idée. Plus simple ? Elle revoyait sa mère et son père ; c'était ça, plus simple ? Et si elle cédait, alors Capucine finirait par subir le même sort ; c'était la norme. Elle devait remettre en cause cette norme.
Elle secoua la tête pour échapper à ses pensées qui l'empêchaient de regarder devant elle, et de profiter de ces sensations qu'elle n'avait pas ressenti depuis Rostheim. Ici, la maison était derrière, et le monde au devant. Elle se crispa un peu lorsqu'elle vit les golems. Ce royaume acceptait de les laisser vagabonder si proche de la cité ?
"Leur parler ?", elle l'observa avec un air ahuri, comme si lui lui avait proposé de parler a une chaise. "Pourquoi je voudrais leur parler ? Savent-ils seulement...parler ?"
Il progressait d'une démarche tranquille, s'approchant de la sortie de la Capitale sans cesser de lui prêter une oreille attentive. Une oreille si attentive qu'elle dessina le fantôme d'un sourire sur ses lèvres, en l'entendant la désigner ainsi.
"Lorsque nous nous efforçons d'éviter des éruptions..." Il réprima un mouvement parasite, ralentissant sa marche pour se concentrer. "... Il nous arrive d'entrer dans des galeries de Fulmyne. Certaines sont naturelles, d'autres ont été creusées par les anciens habitants de l'île et enfin, nous en creusons, quelques fois."
Le plus souvent, ils ne creusaient que pour échapper à des monstres qui y résidaient, des créatures qui vivaient en osmose avec le volcan et qu'il n'était pas question de tuer. Astal le leur avait bien fait comprendre.
"Nous y trouvons des vestiges, parfois, des anciennes civilisations que les roches ont gardées à l'abri des pilleurs."
Dimitri doutait qu'elle verrait là une partie des réponses nécessaires aux mécaniques élémentaires du don qu'ils possédaient. Sélène lui avait appris à la contrôler, à la craindre, elle et ses conséquences. Astal, malgré toute l'antipathie qu'elle nourrissait à leur encontre, lui avait enseigné quelque chose de bien plus fondamental.
"Mais oui. Nous réagissons aux émotions, comme la peur peut faire soulever une charrette à une personne fragile ou faible, pour sauver quelqu'un."
Il grimaça un peu, tandis que ses pas le menaient en dehors de Micarko où quelques golems de pierre redressèrent la tête. Les bêtes étaient massives, peut-être pas plus grandes qu'eux — jamais aussi proche des villes — mais elles irradiaient d'une lourdeur toute particulière. S'ils n'étaient pas si grands, ils étaient larges.
Il détourna le regard vers Mélissandre. Puis désigna un passage un peu plus dérobé, évitant les groupes de golem, en direction du sud-ouest.
"Passons par là. Je ne tiens pas à voir ce que tu pourrais faire si tu commences à leur communiquer ta peur. Ensuite, nous essayerons de voir de quelle roche tu es faite." Dimitri s'avança de quelques pas. "A moins que tu ne veuilles leur parler ?"
Et il patienta, observant Mélissandre puis les golems.
Elle eut un léger sourire, jetant un œil en provenance des bruits festifs, et secoua la tête avant de lui emboiter le pas. Elle ne savait pas combien de temps elle avait, elle préférait éviter de le perdre.
"Ça n'arrive plus aussi facilement depuis quelques temps, fort heureusement."
Le travail effectué auprès de Felix puis des Thaumartuges avait tout de même permis à la jeune femme de limiter ses crises. Néanmoins, elle était persuadé que l'anti-magie ambiante avait été une chance lors de sa "visite" du laboratoire.
"Je sais que ça...enfin que c'est lié à mes humeurs."
Elle avait soudainement l'impression d'entendre sa mère, ou sa nourrice.
"Un peu comme si la bête dormait et que mes émotions étaient des bruits. Tant que je ne fais pas trop de bruit, tout va bien."
Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle devrait dire ou pas, et elle avait finalement choisie de parler assez ouvertement. Elle s'efforçait néanmoins de ne pas considérer que c'était la bête qui profitait de ses faiblesses, ou qui en était à l'origines, mais bien elle qui, par sa méconnaissance, provoquait cela. Elle se serait mentit à penser qu'elle y arrivait, mais elle essayer de garder cet état d'esprit.
"Pour le reste, j'ai l'avantage de savoir me conduire dans la haute société, c'est un avantage pour trouver du travail auprès des nobles. Cela dit...je préférais dessiner des plans de bâtiments."
Dimitri se redressa en la voyant se rapprocher. Il inclina brièvement la tête, dans un geste rendu raide par le devoir plutôt que la politesse, un geste un peu rouillé qui aurait fait grincer Sélène.
Il l'écouta, la laissant lui parler de contrôle, de voie à suivre, puis du simple problème du mot. Il réprima les quelques commentaires qui lui vinrent d'instinct, croisa les bras et l'observa à l'ombre de ses cils.
"Tu ne veux pas aller aux célébrations ?" Il avança de quelques pas, certain de sa réponse et s'avança vers les grandes portes de la capitale, pour en sortir.
"Comment tu t'en sors, depuis ton arrivée ? As-tu... Perdu le contrôle ?"
Il se promit de ne pas être aussi terrible que Sélène, mais certaines choses étaient dures par nature.
Jade Hurlefreux. Elle inspira, prenant la route pour l'auberge où Dimitri l'attendait. Cela lui en coutait de renier ce qu'elle était, son nom, son statut. Sans s'en rendre compte, en prenant le prénom de son ancienne servante, elle avait aussi pris sa place : au service des nobles pour avoir de quoi vivre. Elle aurait peut-être pu demander de l'aide à Dimitri, mais elle avait fait le choix de partir seule, et il était hors de question qu'elle ne sache pas se débrouiller pour subvenir à ses besoins. Le temps qu'elle trouve mieux, et plus adapté à ses connaissances, elle faisait ce qui était le plus accessible. Cela avait un avantage, elle apprenait à connaitre la noblesse locale, un point que sa famille apprécierait certainement ; mais elle n'était pas ici pour plaire à sa famille. Un réel avantage, en revanche, c'est qu'elle y apprenait les différentes coutumes, ce qui serait nécessaire pour s'acclimater le temps qu'elle aurait besoin de rester.
En approchant, elle reconnut la silhouette de son futur mentor adossé à l'auberge. Elle ralentit un peu le pas ; il était temps de consacrer plus de temps à ce pour quoi elle avait quitté les Thaumaturges. Une fois à proximité, elle inclina poliment la tête.
"Merci de m'accorder du temps. Je suis prête à essayer de suivre ta voie."
Si une part d'elle rejetait profondément sa vision, sa raison ne pouvait que conclure que d'une situation proche de la sienne, il était parvenu a une certaine maîtrise de ses dons. Tout cela n'était probablement pas raisonnable, mais elle avait toujours un moyen de faire taire la bête à l'avenir, si elle finissait par regretter sa décision.
"J'ai besoin d'être capable de ne plus perdre le contrôle," elle pencha légèrement la tête un instant, "même si tu me répondras surement que je ne devrais pas utiliser ce mot."
Description
Nom : Melissandre Stehbran
Sexe : Femme
Race : Humaine
Taille : 172 cm
Tranche d'âge physique : 16 ans
Morphologie : Athlétique
Couleur et longueur des cheveux : Blonds, long
Coiffure : Détachée
Couleur des yeux : Bleu-verts
Tenue : Voir image
Armement & équipement :
→ Une besace avec son matériel de dessin
→ Boucle d’oreilles en porcelaine, bracelets, broche d’archéologue, collier