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Tout a un sens

Texte de Kelora

"Nils,


Je tenais à vous remercier pour votre missive. J'ai toujours une affection toute particulière pour les mots déposés sur le papier ; ne pas vivre les tumultes que peuvent traverser mes interlocuteurs est une cure de jouvence pour qui ne peut les ignorer. Lire vos mots fut instructif, si je puis le dire ainsi. Sachez que je ne vous tiens rigueur d'aucune manière pour ce qu'il s'est passé. Les émotions ne peuvent être contrôlées, la satisfaction qu'éprouvent certains à les penser soumises à leur volonté, est illusoire. Vous l'avez si bien dit, nous sommes incapables de contrôle, au mieux elles prennent en ampleur silencieuse, grandissant à mesure que le temps passe. Chaque répression comme autant de morceaux de viande crue aux émotions carnassières et cadenassées.


J'ai rencontré nombre de monstres, au cours de mon existence et sans doute bien moins que vous. Vous ne leur ressemblez pas ou si peu, que vous n'êtes que la marionnette de leurs desseins. Tout comme je l'étais et le demeure encore. Bien peu de choses nous différencient d'eux, parfois cela ne tient qu'à un regard détourné de notre reflet, qu'à un bégaiement au moment de devoir revêtir le masque, qu'à notre cœur qui se serre. Je ne suis pas très pieuse, vous vous en doutez, les dieux m'ont doté de sens qui ont à la fois forgé et détruit ce que je suis et j'étais, mais je crois au pardon.


Je crois que nous devons nous-même pardonner nos failles et nos faiblesses, accepter que nous ne sommes pas irréprochables car nous ne sommes que des mortels. Accepter nos éclats de larmes comme ceux du rire, accepter les sueurs de peur qui nous traversent lorsque vient le temps de dormir. Accepter nos échecs et pas seulement nos remords. Ne pas accepter que nous sommes monstrueux, mais accepter que nous avons nos failles, qu'au fond nous sommes faibles.


Ma peau, détentrice de la malédiction qui m'accable, a touché des êtres pour lesquels "monstre" est un euphémisme. Vous avez fait du mal, mais je lis les regrets. Lorsque j'ai vu par leurs yeux, entendu par leur ouïe, j'ai ressenti leur froide satisfaction lors de la mise à mort ou de la torture. Je puis vous assurer que vous en êtes encore loin. Quoique vous pensiez, vous mépriser, vous détester et vous haïr, ne vous aidera en aucun point. J'ai longtemps haï la malédiction qui m'accable, lui préférant un monde éphémère, prenant différentes substances pour éteindre mes sens. Je n'ai rien fait d'autre que d'espérer la fin, de prier Vanilius de les faire taire, je n'étais qu'une poupée de chiffon, au corps traître. Mon âme aurait pu s'envoler que j'en aurais été soulagée. Nos émotions ne sont notre reflet, parfois je crois les maîtriser, mais les dieux m'ont résignée à subir ce que j'ai appris à contrôler chez autrui.


Nous cherchons toujours à dissimuler ce que nous sommes, cette sensibilité qui nous caractérise, la colère n'est que l'expression d'un millier d'autres émotions. Elle est une armure, comme autant de plaques sur le corps, pour l'esprit. Nul ne peut atteindre le noyau de rage qui brûle votre ventre, nul ne pourrait vous manquer désormais. Intrinsèquement, vous avez raison, la colère n'est pas une mauvaise chose, mais elle est une alliée exigeante, nécessitant à chaque fois de vous repousser un peu plus loin dans votre acceptation. Elle est conquérante et n'exige rien de moins que tout votre être. Jusqu'au jour où elle repoussera loin de vous, par sa rancune et l'écume qu'elle exhale, tout ce que vous aimez. A sa manière, c'est un masque que l'on place, nul doute face à la colère, nulle hésitation face à la rage, l'émotion est brute, ni polie ni apprivoisée... Elle rugit et se nourrit de tout ce qui reste : la peine, la joie, l'amour.


Lorsque mes parents, embarrassés et ne sachant plus quoi faire de moi, ont pris le parti de me confier à autrui, j'ai utilisé la colère pour dissimuler la peur qui me dévorait les entrailles, un temps seulement. Puis, lorsque j'ai appris à infliger plutôt qu'à subir, j'étais encore une fois en colère. Des excuses, je m'en suis trouvé et plus que de raison, cette personne m'obligeait à subir quelque chose qui ne me concernait pas, elle n'avait rien de bon... Et je lui ai arraché ce qu'elle était, comme je l'ai fait avec vous, chez d'autres personnes, j'ai imposé une émotion que je voulais ressentir. Tout plutôt que cela. Je me sentais grisée, j'étais enfin en position de force. J'ai détruit les bases sur lesquelles cette personne se reposait pour sa stabilité. J'ai manipulé son essence même pour m'apporter un quelconque bénéfice.


Il n'y a finalement que l'amour, il n'y a que l'amour de votre Royaume qui vous a fait garder le silence, qui vous a fait prendre les armes. Il y a l'amour de vos citoyens, des idéaux, même de ceux que vous détestez. Vous ne saurez jamais si cela aurait été différent en lâchant la bride à votre hargne, vous pouvez l'imaginer. Vous pouvez vous juger comme coupable, vous le faites sans mal. Mais l'on ne juge pas sur des si.


Nous sommes tous qu'une somme de regret et de remords. Gabrielle a dévoué son existence à tenter de me protéger, à réparer ses actions passées. Elle considère que c'est tout aussi égoïste que ce qu'elle faisait avant, parce qu'il est difficile pour ne pas dire impossible de ne pas se fustiger. Vous avez voué votre existence au Royaume, vous lui avez offert sans doute une partie de votre innocence. Et pourtant, c'est vous le monstre.


Nous sommes nos pires juges, notre jugement est toujours biaisé, soit il n'y a nul mal, soit le mal suprême.


Les échecs ne sont pas synonymes de maléfice, ils ne sont que les reflets de nos faiblesses et nous passons la moitié de notre existence à fauter, l'autre moitié à réparer nos torts. Certains abandonnent le combat, par lâcheté ils tuent tout le bon qui les animait, par désespoir ils en appellent à Vanilius.


Je crois que tout a un sens, même si je peine à trouver les bons arguments; quel est le sens de nos guerres, des tortures commises au nom de la vérité ? Quel est le sens de l'amour, si c'est pour perdre nos êtres ? Un jour nous comprendrons ; dans cette vie ou dans l'autre. En attendant de le saisir, je crois que nous devons continuer d'essayer, d'essayer la franchise avec nous-même, accepter que nos larmes servent à autre chose qu'à gercer nos joues, accepter nos échecs comme autant de leçons pour de meilleurs lendemain. Il faut laisser le temps le temps à nos blessures, les panser, les désinfecter en les montrant à quelqu'un qui pourra leur passer un baume, un jour elles vous parleront, plutôt que de vous accabler.


Je sais que je ne suis pas crédible, quand tout ce que j'éprouve n'est qu'un reliquat de vies qui s'entremêlent, peut-être suis-je incapable de ressentir quelque chose qui m'appartient. Je ressens tout, et je suis toujours incapable de l'expliquer ou de l'exprimer. Je ne vous connais que peu, j'espère que vous trouverez une autre voie que celle que je crois lire entre vos mots, que vous réussirez à redresser la tête hors de l'abîme de colère des souvenirs.


Merci pour votre missive, Nils, puissiez-vous trouver la paix."

Nils Lius

Nils Lius

Armée des Roland

Lucinda

Lucinda

Thaumaturges

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